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regarde au style, et de riches et pittoresques émotions pour cet heureux public d’Opéra-Comique, qui se plaît aux chœurs de bohémiens, aux menus morceaux où les violoncelles imitent dans l’orchestre les frémissemens d’ailes des légères hirondelles, aux fulgurantes cavatines de Mme Cabel, au pathétique décidément beaucoup trop tendu, trop haut monté de ton, de Mme Galli-Marié, au chant distingué de M. Achard, au jeu entraînant de M. Couderc. « Si ces pensées ne plaisent à personne, écrivait Diderot, elles peuvent n’être que mauvaises ; mais je les tiens pour détestables, si elles plaisent à tout le monde. » La musique de M. Ambroise Thomas est de celles qui plaisent à tout le monde, ce qui veut dire, non point qu’elle soit détestable, mais simplement qu’elle manque de cette originalité qui, tout en divisant les sympathies, provoque la discussion et la passionne. C’est un musicien plein de talent qui n’a jamais su se fixer. Il lui suffit de vouloir s’appliquer à un genre pour y réussir. Il a fait du Grétry avec la Double Échelle, de la musique bouffe avec le Caïd, — à peu près comme Méhul, qui s’imaginait être Italien en composant l’Irato, — avec le Songe d’une nuit d’été de l’Auber étendu de Weber, — avec Mignon du Donizetti blaireauté à la Mendelssohn.

L’Opéra-Comique est peut-être aujourd’hui le seul théâtre qui puisse à certains intervalles reprendre utilement les bons ouvrages de son répertoire. Mettre la main sur un succès, cela se rencontre encore assez souvent ; mais comme la pièce nouvelle ne se joue que tous les deux jours, la difficulté est de parer aux lendemains, sans quoi l’on se ruine très galamment en ayant l’air de s’enrichir. L’Opéra-Comique trouve, lui, dans son répertoire, des ressources inépuisables. Rien ne l’empêcherait de donner invariablement Zampa, le Pré-aux-Clercs, la Dame blanche ou le Domino noir ; il a là des lendemains assurés pour tous les succès présens et à venir. Si donc il reprenait hier Lalla-Rouk, c’était un acte de pure gracieuseté dont le public doit lui tenir compte. Lalla-Rouk est la plus charmante partition de M. Félicien David. Cette musique a des rêveries inconnues jusqu’alors à l’Opéra-Comique, ou plutôt n’est d’un bout à l’autre qu’une indéfinissable rêverie. Qu’il y a déjà loin de l’aimable et sceptique Orient parisien de M. Auber dans le Dieu et la Bayadère, à l’Orient de M. Félicien David dans Lalla-Rouk. Suivez maintenant cette note sensible, intense, nostalgique ; elle vous mènera jusqu’au Paradis et la Péri de Robert Schumann, dernier terme du mahométisme et de l’indostanisme musical. M. Félicien David cache sa vie, on ne le connaît que par ses œuvres, qui souvent, dans leur genre, sont des chefs-d’œuvre, le Désert, Lalla-Rouk. Il n’a point pour habitude d’assourdir les passans du bruit de ses affaires. Quel ouvrage nouveau l’occupe ? Aucun journal ne le raconte. A-t-il seulement, lui, l’auteur d’Herculanum, un poème pour l’Opéra ? Tout ce qu’on sait, c’est qu’il n’est pas de l’Institut.


F. DE LAGENEVAIS.