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aurait fait plutôt une féerie. Ces femmes ne sont pas des femmes, ce sont des principes, et les principes ne chantent point de cavatines. — Wilhelm, revenu des erreurs du jeune âge, rencontre la vie utile et pratique dans la personne d’une charmante femme exclusivement occupée de son intérieur et du soin de faire le bien, esprit honnête et éclairé dans un corps sain et pur. Wilhelm croit l’aimer, il se trompe; leurs deux natures ne se conviennent pas; l’une manque d’idéal, l’autre en a trop. Thérèse la première s’aperçoit du désaccord et rompt en adjurant Wilhelm d’épouser Nathalie, ce qu’il fait. Avec le mariage, les années d’apprentissage ont vu leur terme, une nouvelle ère commence.

Histoire bien aventureuse et bien romanesque en effet que celle de Wilhelm Meister ! Il aima d’abord Marianne, et ce fut sa première illusion trompée; ensuite vint le tour de Philine, qu’il lui fallut aussitôt prendre en mépris; il estime Aurélie sans pouvoir l’aimer, entoure Thérèse d’une espèce de sollicitude attendrie qu’il prend pour de l’amour; enfin Nathalie se montre à lui, et ce n’est pas seulement son idéal qu’il trouve en elle, c’est l’idéal de la femme, cet éternel féminin qui déjà préoccupait Goethe. « Ou sent qu’elle ne se trompa jamais, qu’elle n’eut de sa vie un pas à faire en arrière: son être tout entier exhale et respire l’amour à ce point que l’amour ne saurait, chez elle, exprimer un état particulier. » Elle a le cœur chaleureux de Marianne et d’Aurélie sans partager les faiblesses de l’une ni l’excentrique naturel de l’autre. C’est Philine avec sa belle humeur indépendante, généreuse, et moins sa frivolité. Wilhelm trouve chez Nathalie ce qu’il a cherché si longtemps, celle qu’il aimera toute sa vie, et qui, jusqu’à la fin, restera digne de cet amour. Thérèse n’était que la desservante de l’utile, Nathalie est la prêtresse du beau, et cette différence se laisse voir jusque dans la manière dont chacune d’elles accomplit le devoir qu’elle s’est imposé, de servir de mère aux orphelins. Thérèse dresse son petit monde, Nathalie élève le sien. De ces êtres déshérités soumis à leur tutelle, nous en connaissons deux; l’un se nomme Félix, l’enfant de Wilhelm et de Marianne, dont nous n’avons point à nous occuper, l’autre Mignon, l’enfant du mystère. Celui-là, tout le monde le sait par cœur, grâce à l’interprétation qu’en a donnée Ary Scheffer. Combien de gens nous parlent de Mignon comme d’une intime connaissance, qui ne l’ont jamais aperçue que derrière la vitrine d’un marchand d’estampes, où c’est en effet plus commode d’aller la chercher! Il n’y avait que Meyerbeer pour vouloir qu’on découvrît un poème d’opéra-comique dans un tel roman, tout peuplé d’entités philosophiques; mais le cher grand maître était ainsi fait. C’était par l’impossibilité qu’un sujet l’attirait. Plus tard, la vue des rhapsodies qu’on lui fabriquait sur commande l’effarouchait bien un peu, mais sans le déconcerter absolument. Il se disait : La pièce qu’on m’apporte est mauvaise, mais rien ne prouve que mon idée ne soit point bonne. Erreur! au théâtre on ne sympathise qu’avec ce qui est humain, et le personnage de Mignon