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pleine et entière du prince Ottokar dans les droits et privilèges de ses ancêtres, et aussi la réinstallation du saint homme d’ermite dans sa niche! Jadis on avait eu le tort de supprimer ces deux personnages comme nuisant à l’action. A l’action peut-être, mais certes point à la musique. Dans un opéra de Weber, il n’y a pas de bouches inutiles. Ce prince funambulesque a dans les ensembles maintes répliques à donner; il n’en faut donc pas davantage pour que sa présence soit motivée. Même chose pour l’ermite. Otez du dernier finale ce capucin de baromètre, et l’admirable morceau n’a plus de sens. Kind, l’auteur de la pièce allemande, pour préparer la venue de son personnage au dénoûment, le montre au premier acte. Il est vrai qu’en Allemagne on passe cette scène. Je l’indique à tout hasard au directeur du Théâtre-Lyrique; en la rétablissant, peut-être aurait-on l’avantage d’être encore plus exact qu’en Allemagne, ce qui ferait très bien sur une affiche.

Dans le principe en effet, l’ouvrage commençait par une interminable scène de l’ermite, et cette scène vraisemblablement y serait encore sans la vigoureuse et décisive intervention d’un vieil ami que Weber trouva établi à Dresde, lorsqu’il arriva pour y diriger la musique du roi. Cet homme s’appelait Jean Miksch, archiviste et chanteur de la chapelle : c’était, pour le caractère, une manière de Cherubini, grondeur, bourru, d’un commerce très difficile, mais qui bon gré mal gré se faisait écouter à cause de sa haute science et de ses talens. On a de lui d’excellente musique d’église, et parmi ses élèves plusieurs ont compté : Henriette Sontag et Wilhelmine Schrœder-Devrient, pour n’en citer que deux. Weber, écrivant Freischütz, lui soumettait tous ses morceaux l’un après l’autre. Quand on fut au bout du premier acte, Miksch dit à Weber en lui parlant de son ermite : « Qui diable voulez-vous qui s’occupe de ce bonhomme. Renvoyez-le-moi à sa thébaïde, la pièce ne commence qu’avec Max. » Et l’introduction fut supprimée. De même il en advint pour d’autres passages. Dans le premier finale, Caspar avait à dire sans accompagnement son diabolique accord de tierce-quarte et sixte; Miksch, jugeant la chose impossible pour un chanteur, obtint de Weber l’adjonction des violoncelles; plus loin, dans son air de triomphe, le même infortuné Caspar devait prolonger indéfiniment une tenue solo, et comme le chanteur pour lequel le rôle était écrit, un certain Mayer, déclinait, de peur de se compromettre, la responsabilité d’un pareil exercice, Miksch de nouveau décida le compositeur à modifier le trait; on mit les instrumens à corde sous la tenue. Quelquefois néanmoins ces dialogues amenaient entre les deux amis de véritables explosions. Un jour, Weber prétendait que les chanteurs étaient faits pour chanter tout ce qu’il écrivait, à quoi Miksch répondit carrément que Weber n’entendait rien de rien au chant vocal, et que ses mélodies n’étaient et ne seraient jamais que des phrases de clarinette ou de piano... « Vous ressemblez, ajouta-t-il, à tous nos pédans d’Allemagne, qui s’imaginent que chanter,