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américaine et aux symptômes de cette fermentation incessante qui entretient une vie extraordinaire au sein de cet étrange peuple. En Angleterre, si les procédés politiques adoptés par M. Bright et par la ligue de la réforme finissaient par obtenir l’assentiment national, on ne tarderait point à voir les mœurs politiques américaines se propager dans cet antique foyer des traditions féodales. Nous ne savons point à quels résultats peuvent tendre les meneurs de la réforme anglaise en produisant dans les rues de Londres les manifestations des masses populaires. Veulent-ils prouver que là où est le nombre, là est la force, et que la loi du plus fort est la meilleure? De la part d’hommes qui ont toutes les ressources de la discussion libre, et dont plusieurs ont une prééminence intellectuelle et oratoire incontestable, l’emploi périlleux de cet argument de la force brutale est fait pour étonner. Il y a d’ailleurs une contradiction entre le but qu’on avoue et le moyen qu’on emploie. On votait pour le bill de M. Gladstone, qui n’ajoutait que 300,000 voix au corps électoral, et on menace de rassembler des millions d’hommes dans les manifestations réformistes! La mise en mouvement de ces agglomérations n’aurait de sens que si l’on vou- lait marcher à la conquête du manhood suffrage, du suffrage universel. Au surplus, contre le péril de ces agitations démocratiques, l’Angleterre a la chance d’être protégée par son rare bon sens national. La dernière manifestation réformiste de Londres s’est passée le plus tranquillement du monde. Les ouvriers groupés dans la procession ont été beaucoup moins nombreux qu’on ne l’avait annoncé : on promettait deux cent mille hommes, on n’en a donné que quarante mille. La procession, organisée avec une curieuse prudence, est restée admirablement disciplinée. La véritable population de Londres a préféré le rôle de spectateur, et la cérémonie s’est déroulée comme une fête publique. En somme, si les réformistes ont fait louer leur esprit d’ordre, ils n’ont pas le droit d’être fiers du nombre de figurans qu’ils ont donné à compter. La masse du peuple anglais est loin de partager la passion qu’ils éprouvent. Si le ministère tory, comme on l’assure, prépare un bill de réforme, il pourra s’en tirer à bon marché. Il a du côté de l’Irlande, dans les projets insurrectionnels que semblent toujours nourrir les fenians, une difficulté plus grave et plus douloureuse.

M. de Bismark est rentré sur la scène; nous ne tarderons sans doute point à voir la politique prussienne se caractériser dans le projet de la nouvelle constitution fédérale et dans la réunion du parlement de l’Allemagne du nord. L’Allemagne traverse une période de confusion ; on n’y reprend pas son assiette. L’unification y est secondée par des ambitions savantes et des aspirations populaires énergiques; cependant de vives résistances se prononcent en certains endroits, et il ne semble point, par exemple, à en juger par les actes des autorités prussiennes, que le Hanovre soit heureux et fier de son annexion à la Prusse. Une grande indécision règne par contre dans les états du sud, où les aspirations vers l’unité et la puissance