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par le concours loyal et amical de ces robustes républicains de Washington, dont, grâce à Dieu, nous n’avons point réussi à limiter l’humaine et bienfaisante influence.

Un long exposé publié par le Moniteur a fait connaître enfin le plan de réorganisation de l’armée arrêté par la haute commission militaire. On nous excusera si nous avouons que nous ne sommes point encore en mesure d’apprécier cette importante combinaison. Au point de vue de l’efficacité militaire qu’il faut que la France s’assure à tout prix, le plan proposé nous paraît présenter de solides garanties. L’effectif de l’armée donnera à la France la sécurité et la force qui conviennent à la place qu’elle occupe en Europe. L’économie de la réserve et de la garde nationale mobile paraît bien entendue. Le premier ban de la réserve, étant un annexe très rapproché de l’armée active, en prendra la solidité. La garde nationale mobile, étant formée d’hommes qui auront servi, ne sera point une fantasmagorie, et pourra fournir au besoin à la défense du pays des soldats éprouvés. La France appuyée sur une armée offensive de 800,000 hommes, sur une armée défensive de 1,200,000, pourra donner à réfléchir aux ambitieux du continent. La question de force est bien résolue. Peut-être, en arrivant aux détails, y aura-t-il lieu d’exprimer quelques regrets ou certaines objections. Quant à nous, par exemple, nous regrettons que la gestion de l’exonération n’ait point été radicalement tranchée dans le sens démocratique, qui est aussi le plus équitable et le plus conforme aux conditions d’une armée efficace. Dans les débats qui s’engageront sur les divers élémens de la nouvelle loi, il est impossible que l’on ne soumette point à une discussion approfondie les effets que le système d’exonération combinée avec la dotation a produits sur l’état de notre armée. L’influence de ce système, aucun témoignage militaire ne nous contredira, a été énervante et dissolvante. L’homogénéité, la vivacité de nos troupes en ont souffert; les cadres si importans des sous-officiers ont été frappés d’obstruction et comme énervés. Il est heureux à ce point de vue que les événemens de cette année aient porté l’attention publique sur la situation de notre armée. On n’aurait fait qu’ouvrir les yeux sur les effets de la loi de dotation, que l’alerte eût encore été profitable. On ne sait pas dans quelle léthargie et dans quelle dissolution sénile notre armée serait tombée à la longue, si le sentiment d’une alarme patriotique ne nous eût éveillés à temps. On voit là un des périlleux résultats auxquels on s’expose à tout moment et à tout propos au sein des peuples modernes, quand l’opinion, privée des organes sains et libres de la discussion, s’endort, s’oblitère, et ne prête plus d’attention aux affaires publiques. Ce fatalisme paresseux où nous nous laissons endormir par le défaut d’initiative politique, par les entraves qui paralysent chez nous la discussion contradictoire, eût pu nous coûter cher en matière de guerre. Si le principe de l’exonération continue à prévaloir, il faut souhaiter du moins qu’on y mette les restrictions les plus sévères.