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raient sur lui les formes politiques romaines? Si le christianisme eût dû avoir une patrie locale sur la terre, ne semble-t-il point que cette patrie, comme le crut le naïf moyen âge au temps des croisades, devait être naturellement la contrée où naquit et mourut le Christ? L’ascendant politique et le prestige païen de Rome eurent plus de prise sur les intérêts et l’imagination des peuples que les souvenirs de Jérusalem; en mourant, le césarisme politique laissa avec Rome à la suprême autorité du culte chrétien la prétention et la forme de la domination universelle. A la longue et de nos jours, les nouvelles transformations de l’histoire ont fait sentir leur empire au pontificat romain. Un antagonisme irréconciliable s’est produit entre le caractère essentiellement religieux de la papauté et les précaires garanties de son pouvoir politique. Les papes n’ont plus eu la faculté de conserver la souveraineté temporelle par leur propre force; une incompatibilité absolue s’est déclarée entre l’esprit de leurs dogmes, qui doit les posséder tout entiers, et les conditions du gouvernement des sociétés modernes, qui échappent aux formules inflexibles de l’infaillibilité dogmatique. La force des choses annule donc aujourd’hui le pouvoir temporel des papes, et tend à en renfermer les derniers restes dans les limites les plus exiguës. L’intervention militaire de la France à Rome tenait en suspens la crise finale de cet antagonisme. Nos troupes se retirant, les choses vont être abandonnées à leur cours naturel. Quel sera le caractère, la direction, le résultat de l’élaboration nouvelle qui va commencer, dans des circonstances si neuves, entre Rome et l’Italie, entre le pape et les communautés catholiques? Voilà ce que le monde va voir, voilà ce que l’on attend partout avec des sentimens partagés et des espérances diverses.

Dans cette scène imposante, le personnage le plus intéressant est à coup sûr le saint-père. Ceux même qui sont le plus convaincus de l’utilité de la révolution qui change les conditions du pouvoir temporel ne peuvent refuser leurs sympathies à l’honnête et débonnaire Pie IX. Il y a quelque chose d’auguste et d’attachant dans cette figure de pontife obligé de subir la ruine de l’institution personnifiée en lui, et à qui nul ne saurait attribuer la responsabilité des causes qui ont rendu la révolution nécessaire. Que Pie IX revendique les prérogatives illusoires du pouvoir temporel, qui pourrait s’en étonner ou l’en blâmer? Le sentiment le plus intime de l’honneur l’oblige d’invoquer des attributions exercées avec éclat par la papauté durant tant de siècles, et dont la conservation doit faire partie, à ses yeux, du mandat qu’il a reçu. Il n’y a pas dans l’histoire de situation plus émouvante que celle des hommes qui voient périr entre leurs mains des institutions ruinées par d’anciens vices, par des fautes antérieures, par des impossibilités présentes, auxquelles ils n’ont contribué pour rien, et où l’on ne peut trouver contre eux aucun juste sujet de reproche. Parmi ces expiateurs innocens, la figure de Pie IX paraîtra toujours comme une des plus touchantes. On ne peut s’empêcher d’admirer l’élévation naïve, la douce