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— Comment ! reprit miss Lovel ; que dites-vous ? Est-ce que vous m’aimez par hasard ?

— De toute mon âme, signora, de toute mon âme !

— En êtes-vous bien sûr, mon pauvre Centoni ?

— Parfaitement sûr.

— Et je l’ignorais ! cela est incroyable. Depuis quand donc m’aimez-vous ?

— Depuis le jour où mistress Hobbes m’a fait part de votre malheur.

— Je vous reconnais bien là ! dit miss Lovel avec un sourire qu’elle ne put réprimer. Pour que l’amour vous vînt, il fallait que j’eusse tout perdu.

— Oui, répondit Centoni, tout, excepté votre beauté, vos grâces, votre esprit, tout, excepté ce qui fait qu’on aime, et lorsqu’on met son cœur aux pieds d’une femme comme vous, on y met aussi sa fortune, son honneur et son nom.

Miss Martha baissa les yeux, et son visage se colora d’une rougeur charmante.

— Hélas ! mon pauvre ami, dit-elle, mon cœur n’est pas libre.

— Je le sais, reprit don Alvise. Vous avez des engagemens avec un jeune homme de votre pays qui habite actuellement Hanovre ; mais il faudra voir si votre malheur aura aussi pour effet d’ajouter à sa tendresse…

— Voilà une mauvaise pensée, Centoni, dit Martha.

— Elle ne m’est pas venue à l’esprit sans raison. Voulez-vous que je vous dise ce qui se passe ? J’ai lu toutes les adresses de vos lettres ; si c’est un tort, grondez-moi, mais enfin je les ai lues. Il y a un mois et plus que vous n’avez reçu de lettre de Hanovre. Vous avez écrit deux fois ; on aurait eu le temps de vous répondre, — j’ai compté les jours, — et la réponse n’arrive point.

— Elle viendra, n’en doutez pas, répondit Martha.

— En êtes-vous bien sûre à votre tour ?

— Ah ! s’écria miss Lovel en cachant son visage dans ses mains, ce serait à en mourir de honte et de douleur.

— Espérons donc que cette réponse viendra, reprit don Alvise, et qu’elle sera telle que nous la souhaitons. Et maintenant, puisque vous savez que je donnerais de bon cœur ma vie pour vous, il faut me promettre de ne pas retourner chez San-Quirigo.

— Mon ami, répondit Martha, vous êtes le plus généreux et le meilleur des hommes ; mais ces services que vous m’offrez, je les attends d’une autre personne.

— Et s’ils se font attendre trop longtemps ?

Miss Martha releva la tête avec fierté. — Jamais, dit-elle, jamais je n’accepterai ce qu’il me serait impossible de rendre.

— L’ingrate ! s’écria Centoni, frappant ses mains l’une contre