Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/1003

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paisibles, comme on n’en trouve qu’à Venise, et où l’on peut jouir avec délices du sentiment profond de son isolement.

— Martha, dit mistress Hobbes, vous me faites pitié. Pourquoi ne pas donner à notre ami vos vraies raisons ?

— C’est ainsi qu’il me convient de parler, répondit miss Lovel d’un ton bref. La réserve et la discrétion du signor Centoni sont les vraies raisons de ma confiance en lui ; mon amitié lui tiendra compte de toutes les questions qu’il aurait le droit de me faire, et qu’il m’aura épargnées.

— Signorina, dit Centoni, je vous obéirai, comme le jésuite à son supérieur. Votre commission est déjà faite. Je puis vous indiquer, dans la paroisse de San-Maurizio, deux jolies chambres unies, comme nous disons à Venise ; elles sont au premier étage d’une petite maison tranquille, chez de bonnes gens à ma dévotion, et qui vous serviront à pieds baisés. Figurez-vous quatre fenêtres sur un jardinet, un figuier dans un angle, un rosier grimpant sur la façade, un vieux mur d’enceinte couronné de giroflées au printemps et d’œillets sauvages en cette saison, le tout pour six napoléons d’argent, trente francs par mois. Je prendrai soin du jardin, si vous le permettez, et pour du silence, vous en aurez à souhait.

— Dès demain, je m’installerai dans mon nouveau domicile, dit miss Lovel, et j’espère que mes amis y viendront prendre le thé comme à l’Hôtel-Royal. Maintenant, cher signor, je vous laisse aux confidences de mistress Hobbes.

— Les circonstances sont graves, dit la gouvernante, quand miss Lovel se fut retirée dans sa chambre. On nous annonce que le père de Martha se meurt. Il doit être mort à l’heure où je vous parle, car la moins ancienne de ces lettres a un mois de date. Peut-être quelque autre lettre s’est-elle égarée. Miss Lovel a le cœur trop bien placé pour s’exposer au reprocha de courir après l’héritage d’une personne vivante. D’un autre côté, comme nous n’avions guère que des ennemis au chevet du malade, le silence qu’ils gardent nous inquiète. Dans l’incertitude où nous sommes, voici ce que nous avons résolu : je pars demain pour l’Irlande. Si je trouve le noble lord encore de ce monde, je prétexterai mes propres affaires pour expliquer ma présence à Dublin. Si au contraire il a rendu son âme à Dieu, je m’informe de ses dispositions testamentaires, et je reviens chercher notre jeune amie. C’est à vous que je la confie, cher signor Alvise. Martha n’est pas un enfant ; mais je serai plus tranquille, sachant que vous veillez sur elle.

Centoni promit de rendre à miss Lovel tous les soins d’un frère et d’un ami, disant que son dévouement n’aurait d’autres bornes que celles que Martha elle-même lui imposerait. La bonne dame fit en-