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la direction opposée. À cent pas de la maison, il sauta le fossé qui bordait le chemin et se jeta sur l’herbe en s’écriant : — Pauvre Italie ! pauvre Italie !

Les deux coudes à terre et le front dans ses mains, il demeura longtemps immobile pleurant à chaudes larmes. — Allons ! dit-il enfin, retournons à Venise. Libre ou esclave, il faut l’aimer et la servir.

Centoni essuya son visage, se releva, honteux de sa faiblesse, et reprit la route de San-Dona. Deux jours après, il s’embarquait pour Venise, à l’embouchure de la Piave, et rentrait dans les lagunes par le passage de Jesolo ; mais, comme il ne pouvait mentir à ses instincts, il emmenait avec lui une énorme cargaison de légumes frais. À la tombée de la nuit, la servante Teresa poussa des cris de joie en voyant son patron s’arrêter devant la rive del Carbon, enfoncé jusqu’à mi-jambes dans une barque remplie de salades.


VI.

Tout le monde connaît les événemens qui s’accomplirent durant cet intervalle de quelques mois où le vent de la liberté souffla sur les lagunes de l’Adriatique. Après la bataille de Novarre, quand la cause de la révolution italienne fut perdue, Venise voulut encore, pour son honneur, donner au monde le spectacle d’une résistance opiniâtre, afin que l’Europe, qui l’abandonnait, connût la grandeur de son désespoir et le prix qu’elle attachait à son indépendance. C’est à l’histoire qu’appartient le récit de cette lutte héroïque[1]. Le modeste personnage dont nous avons entrepris de raconter la vie ne prit aucune part aux brillans faits d’armes de ses compatriotes. Il assista en simple spectateur à la défense et à l’évacuation de Malghera, aux sorties du colonel Ulloa, aux hardis coups de main de Sirtori ; en revanche, il déploya son activité dans l’organisation des approvisionnemens et des ambulances. Pendant les derniers jours du siège, lorsque le choléra vint décimer la population qui s’était accumulée dans le sestiere de Saint-Pierre du Castello pour échapper aux bombes, le désordre se mit un moment dans tous les services. Les munitions de guerre et les vivres s’épuisèrent ; mais le prix de la livre de pain ne s’éleva pas au-dessus de six quarantanes (vingt-cinq centimes de France). Enfin le 24 août 1849 Venise, réduite à la dernière extrémité, capitula, et peu de jours

  1. Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes n’ont point oublié les détails émouvans que M. Charles de Mazade a donnés récemment sur le siège de Venise (livraison du 1er septembre dernier).