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mais toujours soumis aux lois des courbes ; ce sont les arabesques fleuries. Presque tous les musulmans, à l’exception des chiites[1], regardent comme une pratique idolâtre la représentation des figures d’hommes ou d’animaux. Les Persans, héritiers de l’art assyrien et perse, étaient trop artistes, — et nous pourrions ajouter trop sceptiques, — pour se plier à la décision de la religion nouvelle. Ils n’acceptèrent pas la défense qu’elle leur faisait, au nom d’une morale peut-être exagérée, de représenter les êtres vivans ; ils continuèrent donc à les figurer sans scrupule dans la décoration, comme avaient fait leurs ancêtres, et furent non moins habiles que ceux-ci à composer ces enroulemens d’oiseaux, de plantes et d’animaux, convertis en arabesques par la souplesse du crayon.

L’autre genre d’arabesques, que nous nommerons l’arabesque géométrique, se compose de lignes qui affectent les plus savantes combinaisons, et forment des entrelacs dont la condition première est qu’aucun des traits qui les constituent ne s’interrompe ni ne s’arrête jamais. Cette ornementation, due spécialement à l’étude de la géométrie, est d’une ressource infinie pour la décoration des fenêtres, des grilles, des balcons, des boiseries et des plafonds. Les musulmans attachent une importance talismanique à ces combinaisons de lignes et particulièrement à l’hexagone et au pentagone. Ces triangles enchevêtrés étaient, dit-on, gravés sur le sceau de Salomon, et comme cet anneau est devenu dans les légendes orientales le type de la puissance et du merveilleux, il en résulte que l’hexagone et le pentagone sont l’emblème du bonheur et de la réussite. Lorsqu’on grave cette image sur une bague ou sur un vase un dimanche à la deuxième heure de la journée, on est assuré des chances les plus heureuses. Comme autrefois les mages, les astrologues persans de nos jours prétendent que les sept climats de la terre sont soumis à l’influence des sept planètes, qui chacune ont une porte. Ces sept portes, par lesquelles on pénètre dans la vie (portes de la science, de la richesse, de la puissance, de la volonté, de la miséricorde, de la sagesse et de la pratique), ne s’ouvrent qu’avec des clés qui sont le triangle, le carré, le pentagone, l’hexagone, l’heptagone, l’octogone et la figure à neuf angles[2]. On conçoit dès lors le rôle que doivent jouer dans l’ornementation ces formes primordiales, et avec quel soin on en recherche les combinaisons.

Les Persans ont laissé beaucoup plus de variété et de liberté que les Arabes à l’ornementation. Avec l’esprit d’observation qui les

  1. Chiites vient de chia, compagnon (sous-entendu d’Ali) ; c’est le nom d’une secte de mahométans dévouée aux descendans de l’émir Ali, gendre de Mahomet.
  2. Voyez Reinaud, Traité des Pierres gravées.