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peuples de la péninsule ibérique, Espagnols et Portugais, s’est continuée de l’autre côté des mers et sur un territoire bien plus vaste que la petite presqu’île européenne.

Au nord et à l’ouest des anciennes colonies portugaises, l’immensité des espaces solitaires qui les séparent des contrées habitées par les descendans des Espagnols a jusqu’à nos jours empêché tout conflit sérieux. Seulement le Brésil a pu, grâce à l’unité de vues et à la persévérance de ses diplomates, triompher provisoirement dans toutes les questions de limites de la résistance des gouvernemens éphémères qui se succédaient dans les républiques limitrophes, et de cette manière il s’est adjugé sans coup férir d’immenses étendues inexplorées, dont les seuls habitans sont des Indiens sauvages. Sur la carte, le Brésil s’est ainsi agrandi aux dépens de la Bolivie, du Pérou, de l’Equateur, de la Nouvelle-Grenade et du Venezuela d’une surface de plusieurs centaines de millions d’hectares ; mais la force réelle de l’empire ne s’est en rien accrue de cette énorme adjonction apparente de territoire. Dans le conflit des deux races, la prépondérance restera nécessairement à ceux chez lesquels la liberté humaine est le plus respectée.

Du côté du sud et du sud-ouest, où non-seulement les domaines contestés confinent les uns aux autres, mais où les populations elles-mêmes sont assez rapprochées pour se faire la guerre, la lutte a été presque constante pendant trois siècles. Les colons de race ennemie étaient dès le berceau voués à se combattre, et les traités d’alliance conclus en Europe entre les deux métropoles n’empêchaient point les mamelucos de São-Paulo de continuer leur chasse à l’homme dans les Missions espagnoles. Dans le siècle actuel, cette lutte de races s’est graduellement régularisée, mais elle n’en continue pas moins sous des formes différentes, et l’enjeu de la lutte a toujours été la possession des grands fleuves de l’intérieur et du port de Montevideo. Tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, les Portugais et leurs héritiers les Brésiliens avaient tour à tour conquis et perdu la souveraineté de l’une des rives de la Plata. Ils viennent enfin d’atteindre partiellement leur but en installant à Montevideo comme président de la Bande-Orientale le général Florès, commandant un de leurs corps d’armée. Ils ont fait plus encore, car ils ont réussi à tourner les forces d’une république contre une autre république, ils ont eu l’art de prendre pour avant-garde de leurs troupes d’invasion les soldats de Buenos-Ayres, et par cette habile combinaison ils ont fait partager la responsabilité et le poids de la lutte à leurs ennemis héréditaires. Ils espèrent ainsi s’emparer, à titre d’amis, de cette frontière naturelle du Parana, qu’il leur serait plus malaisé de conquérir en ennemis.

Aux débuts de la guerre du Paraguay, c’est-à-dire en mai 1865,