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historiquement, et l’on ne saurait douter que la postérité les embrasse d’un même regard. Qu’une entente préalable ait eu lieu, entre les divers gouvernemens qui sont intervenus dans les affaires des républiques américaines, ou, ce qui est possible, que chacun ait suivi d’instinct la politique particulière, il n’en est pas moins vrai que l’Espagne, la France, l’empire du Brésil, et dans une faible mesure l’Angleterre elle-même, ont saisi l’occasion favorable de la guerre civile des Américains du nord pour chercher à procurer aux républiques du Nouveau-Monde soit « les bienfaits des institutions monarchiques, » soit plus modestement « la paix, l’ordre et la prospérité. » L’histoire future ne verra point dans ces faits une coïncidence fortuite.

Quant aux populations directement intéressées, elles y virent l’effet d’un plan concerté d’avance. On sait quelle profonde irritation l’attitude des puissances européennes a causée aux États-Unis. On sait que, depuis le rétablissement de l’Union, les diplomates de Washington ne négligent aucune occasion de faire parade des ressources de leur nation en s’adressant aux cabinets de l’Europe occidentale : c’est avec un plaisir malin assez peu déguisé qu’ils voient les embarras de la France dans les affaires mexicaines et les terreurs de leurs voisins du Canada menacés par les invasions des fenians. Sans aucun doute les grandes et déplorables démonstrations d’amitié qu’ils font à l’empire russe doivent être aussi attribuées pour une forte part au désir qu’ils ont de chagriner les gouvernemens d’Europe dont ils croient avoir à se plaindre. Toutefois les alarmes de la nation anglo-américaine n’avaient été que peu de chose, comparées à l’émoi des populations du continent colombien. Celles-ci, s’exagérant le danger à cause de leur faiblesse relative, croyaient déjà que les pays libres de l’Amérique espagnole étaient divisés d’avance en trois ou quatre grands empires, dont l’un, s’étendant de l’isthme de Panama aux frontières de la Californie, avait pour souverain choisi l’empereur Maximilien. Quant au sort réservé au reste de l’Amérique espagnole, les idées différaient à cet égard ; on ne doutait pas néanmoins que plusieurs républiques ne fussent désignées comme devant faire retour à l’Espagne, leur ancienne métropole, ni que le Brésil ne tentât d’obtenir pour son immense territoire la frontière du Parana. On savait aussi que le parti conservateur de Quito avait ouvertement invoqué le protectorat de la France, et l’on se demandait avec appréhension si ces vœux de suicide national n’avaient pas été favorablement accueillis aux Tuileries. Ainsi, disait-on, si les projets des puissances monarchiques devaient se réaliser, il ne resterait plus dans le Nouveau-Monde que la république des Yankees, et celle-ci, réduite à la défensive par les esclavagistes vainqueurs, en viendrait peut-être à se scinder elle-même en plusieurs états et à modifier son