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II

Un des écrivains qui soutiennent avec le plus de force la cause de l’unité de l’Allemagne par la Prusse, M. Henri de Treitschke, rédacteur en chef des Annales prussiennes, rappelait dernièrement les griefs du patriotisme germanique contre les souverains que la victoire de Kœniggrætz a renversés de leur trône, et, répondant aux plaintes des partisans de l’ancien régime, il disait : « Les légitimistes auront beau protester, ils n’arracheront pas de la conscience des peuples allemands ce principe désormais inébranlable, à savoir que le droit de la souveraineté implique des devoirs sacrés, et que, si le devoir est foulé aux pieds, le droit n’existe plus. » Appliquant ce principe aux choses actuelles, il ajoutait, il essayait de prouver que les souverains récemment dépossédés ou menacés de l’être avaient depuis longtemps fait litière de tous leurs engagemens, et que la révolution accomplie par la force des choses au lendemain de Kœniggrætz n’était que l’exécution tardive d’un jugement prononcé par la conscience de la patrie. Il y a donc des devoirs qui correspondent aux droits, et plus grand est le droit, plus grande aussi est la responsabilité. A moins de retomber dans la vieille pratique du droit de la force, dont on déguisait la barbarie sous le titre de droit divin, il faut bien reconnaître que c’est là le principe universel qui domine les souverains et les peuples. Cette vérité si simple est un point de départ qu’il n’est pas inutile de rappeler au moment où plus d’une école en Prusse semble disposée à ne pas en tenir compte. Que le parti de la croix, comme on l’appelle, le parti de cette noblesse aux prétentions féodales et théocratiques, fasse profession de mépriser tout ce qui limiterait le droit du vainqueur, tout ce qui impliquerait la reconnaissance du droit nouveau, c’est-à-dire le respect de la volonté populaire, comment s’en étonner ? Qu’un certain parti radical, au nom de la souveraineté du but, méprise aussi les sentimens des peuples et reproche au gouvernement prussien de ne pas marcher assez vite, rien de plus naturel. Nous savons que féodaux et radicaux, théocrates et jacobins, tiennent souvent le même langage. Tous les fanatismes se ressemblent par quelque côté. Le caractère du jacobinisme étant de combattre le moyen âge par les armes qu’il lui emprunte, c’est-à-dire de répondre à la terreur par la terreur, au droit divin par le droit révolutionnaire, les ressemblances que nous venons d’indiquer n’ont rien qui doive surprendre ; mais que le parti libéral, dont MM. Henri de Treitschke, Blüntschli, Julien Schmidt, Gustave Freytag, sont les représentans dans la presse allemande, invoque aussi la nécessité du moment pour glorifier ou absoudre chez les vainqueurs