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l’honneur de notre cause nous ne regrettons pas la généreuse explosion de l’équité française.

Sachons pourtant voir les choses d’un esprit libre et dégager la question vraie des détails qui l’obscurcissent. Les hommes passent, les idées restent. Ni les violences de M. de Bismark, ni les prétentions théocratiques du roi Guillaume ne doivent nous donner le change ; la victoire de l’Autriche eût été la victoire d’une réaction funeste. Voilà pourquoi, avant de suivre en ses péripéties la reconstruction de l’Allemagne, il nous a paru nécessaire de résumer à grands traits la situation d’où est sortie la lutte et les principes qui la dominent. Ces pages s’adressent à nos amis de France autant qu’à nos amis d’Allemagne ; il faut rappeler aux uns quels sont les droits de la Prusse, aux autres quels sont ses devoirs.


I

Il y a vingt-trois ans, après avoir raconté ici même les premiers symptômes d’une révolution morale qui transformait le génie allemand et faisait succéder le besoin de l’action au goût des études spéculatives ; après avoir montré que la Prusse, en dépit de son gouvernement, était le théâtre de cette révolution, et que tous les vœux, toutes les ardeurs des peuples germaniques se tournaient de son côté avec des cris d’encouragement ou de menace, je terminais par ces paroles : « Bien que la Prusse n’ait plus aujourd’hui, comme sous Frédéric-Guillaume III, la direction calme et régulière de la science, elle est toujours le centre de la vie. C’est dans son sein que se passent les agitations dont je viens de parler. On l’attaque, on lui adresse les reproches les plus amers ; qu’importe ? Ces mécontentemens attestent encore le haut rang qu’elle a conquis. Pourquoi, parmi tant d’écrivains, n’en est-il pas un seul qui, dans les questions générales, s’adresse à l’Autriche ou à la Bavière ? Parce que c’est la Prusse toute seule, ils le savent bien, qui est chargée désormais des destinées de l’Allemagne. Tandis que l’Autriche se retire de plus en plus de la société germanique, tandis que, tournée vers le midi et l’orient, elle ne peut empêcher ses provinces slaves de parler plus haut qu’elle et de chercher dans leurs traditions une vie qu’elle n’a point, tandis que Munich s’habitue chaque jour davantage à ne plus être qu’un lieu de repos, une paisible assemblée de vieillards lassés de la vie, — la Prusse au contraire demeurera toujours le champ de bataille des idées allemandes. Pour tout dire enfin, les états du midi possèdent des constitutions ; mais qu’est-ce que ces fictions vaines tant que la Prusse n’aura pas tenu ses promesses sur ce point ? Une constitution sérieuse, la