Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce côté-ci du Rhin leur inspire des défiances farouches. Au nom de quel esprit, au nom de quel droit ferez-vous cette enquête ? Les craintes manifestées par l’opinion publique de la France à la nouvelle de nos triomphes, les cris de colère poussés par vos publicistes, les réclamations de votre diplomatie, tout cela ne montre-t-il pas que votre parti est pris d’avance, et que vous êtes hostiles, par intérêt ou par passion, aux destinées de la Prusse ?

Ces objections n’ont rien qui m’embarrasse. Je réponds simplement : C’est une enquête à faire sans parti-pris, sans passion mesquine, sans aucun souci de cette politique du passé qui plaçait la force des états dans la faiblesse des états voisins. Il n’y a ici d’autre règle que le droit, j’ajoute, afin de couper court à toute équivoque, le droit pur, celui qui appartient à tous les peuples de se constituer intérieurement d’après leurs propres intérêts et leur mission civilisatrice. Il est permis sans doute à la France d’invoquer ce droit et d’en surveiller l’exercice, puisque c’est elle qui a eu la gloire de l’introduire dans le monde.

Les émotions qui ont agité la France dès le lendemain de la victoire de Sadowa tiennent à des causes très complexes, et peut-être est-il permis d’affirmer que la conscience publique ne s’en rend pas encore un compte parfaitement exact. Il y a d’abord les questions de parti. L’ancien et le nouveau régime, la révolution et la réaction sont en présence dans la guerre d’Allemagne, comme dans tous les grands problèmes du XIXe siècle. Que les hommes opposés au renouvellement de l’Italie voient avec douleur et indignation une œuvre analogue s’accomplir au-delà du Rhin, comment s’en étonner ? Leur esprit n’est pas notre esprit, leurs voies ne sont pas nos voies ; ce qui nous réjouit les afflige, et ce qui les réjouirait nous mettrait dans le deuil. Il ne faut donc pas que les publicistes de l’Allemagne du nord considèrent les clameurs de ce parti comme l’expression des idées de là France ; la France espère bien que le développement régulier des principes modernes causera encore d’autres déconvenues du même genre aux partisans de l’ancien droit, du droit de la force et de la violence, si insolemment appelé le droit divin. Quant à ceux qui, dévoués à la cause de la société issue de 89, ont été si vivement émus des derniers événemens de l’Allemagne, je crois que ce premier trouble de leur esprit doit être attribué à deux motifs de valeur fort inégale : d’abord à une connaissance incomplète des mouvemens d’idées qui ont agité l’Allemagne depuis 1840 et rendu inévitable l’immense conflit terminé à Sadowa, ensuite et surtout à la répulsion excitée chez les âmes honnêtes par les tristes procédés qui ont amené la lutte, par les procédés plus condamnables encore qui ont compromis la victoire. Cette répulsion est juste, et pour