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quelles interminables négociations ne faudra-t-il point passer pour devenir le légitime possesseur de ce trésor envié !

Toutefois ce n’est pas dans les villes qu’il faut étudier l’Annamite ; il s’y montre trop à son désavantage. Au milieu des campagnes au contraire, le cadre qui l’entoure le fait ressortir sous son meilleur jour. C’est ainsi que l’arroyo de la Poste ne manque jamais d’inspirer un véritable enthousiasme à l’étranger qui en suit le cours, surtout dans la partie voisine de Mytho. La nature tropicale y déploie toutes ses séductions, non pas telle qu’on peut l’admirer dans le désordre luxuriant des forêts vierges, mais contenue et en quelque sorte disciplinée par la main de l’homme, de manière à montrer, comme dans le paradis de la Genèse, « tout arbre désirable à la vue et bon à manger. » Ce sont, parmi cent autres, le banyan au vaste dôme de verdure, le mangoustier au sombre feuillage, le bananier ouvert en parasol, le cocotier à l’élégant panache, le citronnier, le flamboyant, le goyavier, le népenthès, le laurier-rose, et surtout l’arbre national du pays, l’aréquier au tronc grêle et élancé, dont la fleur envoie au loin un parfum si enivrant. Les cases entrevues sous ces arbres respirent l’aisance, et presque la richesse ; chacune a son jardin entouré de haies de cactus charnus, entre lesquelles se glissent tantôt d’étroits sentiers, tantôt des canaux secondaires qui s’enfoncent et se perdent sous de fraîches ogives de bambous. Sur l’eau, le mouvement est incessant : la lourde barque cambodgienne y suit le courant côte à côte avec la jonque primitive du pays, tandis que d’agiles pirogues annamites se croisent en tous sens sous l’habile direction de la batelière placée debout à l’arrière. Ces arroyos sont la vie de la Cochinchine, et ils tripleront la fécondité du sol le jour où, au moyen de quelque travaux indiqués par la nature des lieux, nous en aurons fait, comme en Lombardie, des instrumens d’irrigation pour les mois de la saison sèche. L’Annamite semble né pour les travaux des champs ; toute la question se réduit à venir intelligemment en aide à cette aptitude naturelle, car, pour ne prendre que la moitié du mot de Sully, il n’est pas douteux que l’agriculture ne soit la véritable mamelle nourricière de notre nouvelle possession.

Il suffit pour s’en convaincre, après avoir franchi le rideau de jardins qui borde les rives de ces arroyos, de jeter un coup d’œil au-delà, sur les magnifiques rizières qui s’étendent à perte vue, et dont les milliers de petites touffes verdoyantes ont dû être toutes repiquées à la main. On y distingue trois catégories qui sont les suivantes : 1° les ruong sóm, donnant le riz hâtif et rendant environ 30 pour 1 ; ce riz vient principalement sur des îlots d’une terre sablonneuse et légère nommés giongs, qui s’élèvent au-dessus du niveau moyen du sol dans les terrains d’alluvion : il est moins