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endroits-là. — Trouvez-en d’autres. — Et la porte se referma impitoyablement. Jane, s’affaissant sur les marches de l’escalier, ces mêmes marches qui tant de fois lui avaient servi de couchette, ramena son tablier sur sa tête et se mit à pleurer amèrement. Cette fille bronzée, endurcie par tant d’épreuves, et si hardie qu’elle fût d’ordinaire, ne pouvait s’habituer à l’idée que ses parens, les parens que vous savez, l’eussent ainsi abandonnée comme un animal domestique, un chien, un chat élevé par eux et laissé à la merci du premier maître venu. — Oui, miss Weston, me disait-elle, je me sentis toute troublée, je ne voyais pas comment je sortirais de là ; l’idée me vint que j’allais mourir de faim,… bref je pleurai. Cela ne m’était pas arrivé depuis l’âge de six ans…

Pousserai-je plus avant cette déplorable chronique ? Pour aujourd’hui je ne m’en sens pas le courage. Et cependant, puisqu’elle est commencée, je me réserve de la compléter pour vous, pour vous qui ne la lirez peut-être jamais.


IV

Millbank, juillet 1858.

A défaut de vos lettres, que je n’ose solliciter par l’envoi des miennes, j’en suis réduite à deviner ce qui, dans ces dernières, pourrait le mieux répondre à vos préoccupations habituelles, et je ne crois pas me tromper en vous parlant de nos malades. Elles sont bien traitées à Millbank. Sous ce rapport, nous sommes cependant moins favorisées que Brixton, où les médecins expédient les constitutions les plus délicates et les plus menacées ; mais je vous assure que rien n’est épargné pour celles des convicts qui ont réellement besoin des secours de la médecine. Leur nombre est restreint comparativement à celui des indispositions factices ou simulées qui frappent chaque jour à la porte de l’infirmerie et parviennent souvent à s’y faire admettre. Les prisonnières y trouvent le triple avantage d’un meilleur régime, d’une exemption de travail à peu près complète, mais surtout celui de n’être plus isolées, de pouvoir librement, à certaines heures, s’entretenir avec leurs pareilles de tout ce qui les intéresse, mettre en commun leurs souvenirs et leurs espérances. Je ne dirai pas que tout cela soit fort sain, moralement parlant, et la matrone qui erre incessamment de dortoir en dortoir, — poste peu recherché, — n’entend pas toujours les propos les plus édifians du monde. En revanche, elle trouve quelques motifs de consolation dans le zèle sympathique des prisonnières qui sont attachées au service spécial de leurs camarades