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espagnol est encore exécré, a cependant conservé mieux qu’aucune autre les traditions de l’Espagne. Les institutions ecclésiastiques, implantées autrefois par une tyrannie sanguinaire, s’y sont enracinées si solidement qu’on a grand’peine à les ébranler. Jusqu’à la sécularisation récemment entreprise par le président Juarès et ratifiée depuis par le nouvel empire, les couvens possédaient les deux tiers du territoire. On dit que la seule ville de Puebla en compte une centaine, tous riches à millions, véritables associations féodales enfermées dans des espèces de forteresses impénétrables, où elles abritent souvent la dépravation la plus scandaleuse. Les moines et les prêtres pullulent dans toutes les villes, où, en dépit de leurs mauvaises mœurs, ils sont entourés d’une vénération sans bornes.

J’en causais ce matin avec un officier qui revient du Mexique et qui ne paraît pas rapporter en France une grande admiration pour ce pays merveilleux. Il me racontait qu’à Puebla il avait été chargé d’occuper avec ses soldats plusieurs monastères de femmes, où il n’avait pénétré qu’à grand’peine, usant de menace et presque de violence pour se faire ouvrir les portes, mais qu’une fois entré, il s’était vite rassuré sur la gravité du sacrilège qu’on lui faisait commettre, car il y avait trouvé presque autant d’aumôniers en soutane noire que de nonnes en voile blanc. Il ajoutait que les prêtres des campagnes n’ont guère plus de retenue que ceux des villes. Ils vivent pour la plupart en famille, avec leurs femmes et leurs enfans ; ces liaisons, sanctionnées par l’usage, n’ont rien qui blesse l’opinion. Ce n’est pas un déshonneur au Mexique que d’être le fils d’un prêtre ; on s’en vante même, à ce qu’il paraît, si c’est un prélat riche et haut placé.

Voilà des mœurs d’un autre âge. Elles conviennent d’ailleurs parfaitement à ce christianisme barbare qui a pour grands moyens de conviction la menace et la terreur. L’église mexicaine ne se soucie guère d’enseigner la morale de l’Évangile : elle aime mieux y substituer un tissu de superstitions grossières, mélange des horreurs de l’inquisition et des hideux souvenirs de l’ancien culte national des Aztèques. L’enfer, le diable, les tortures, telles sont les images édifiantes qu’elle met tous les jours sous les yeux de ces populations ignorantes et fanatiques. Il paraît qu’il n’y a rien de plus grotesque et de plus repoussant au monde que l’intérieur des églises mexicaines : elles sont pleines de grands mannequins difformes, blafards et couverts de plaies saignantes. Ces épouvantails, entrevus au fond des sanctuaires à la lumière des cierges, sont tout à la fois hideux et terribles. On promène dans les processions des centaines d’idoles plus affreuses que celles de l’Inde.

Ces mascarades ne sont pas seulement un moyen de terreur, elles