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du voisinage. Revenue auprès de Mary : — Si nous demandions l’aumône, lui dis-je. — À cette heure, y pensez-vous ? .. Il est bien trop tard… Elle avait raison ; mais alors comment faire ? — Les boutiques sont encore ouvertes, insinua Mary en me lorgnant du coin de l’œil. Je compris parfaitement, et il me sembla qu’en effet la moindre bagatelle enlevée serait une bonne fortune. Les marchands me paraissaient si riches, si riches !… Que leur ferait une parcelle de moins dans tous ces trésors ? Machinalement, et sans avoir répondu, je marchais le long des étalages, regardant à l’intérieur des magasins pour me rendre compte de ce qui s’y passait. Mary m’accompagnait et son bras serrait le mien. A un angle de rue, chez un petit mercier, nous vîmes deux acheteurs. Derrière son comptoir, le marchand avait fort à faire de leur répondre et de les servir : s’il y avait eu quelque objet pendu à l’extérieur, rien de plus simple que de l’emporter sans qu’il y prît garde ; mais tout était rentré. — Allons là dedans, me dit Mary… Demandez quelque marchandise dont il soit dépourvu… Voyez tout ce qu’il y a sur le comptoir… Avec le coude, comme cela, doucement, faites glisser à terre un ou deux de ces objets… Je me glisserai derrière vous, et je les aurai bientôt ramassés… — Pourquoi n’iriez-vous pas ? répliquai-je, pensant au bailie et à ces journées de prison qu’il distribue sans se gêner. — Oh ! répondit-elle, ils me connaissent,… ils se méfieraient… La réflexion était juste, et, toujours poussée par le besoin de revoir Ewan, de le confondre, de lui reprocher sa trahison, j’entrai sans hésiter davantage. Le marchand me jeta un regard oblique, mais ne m’adressa point la parole, occupé qu’il était de ses premières pratiques. — Ah ! pensai-je, ne songeant plus guère aux instructions de Mary, s’il pouvait me tourner le dos et pour un instant oublier ces belles choses éparpillées sur le comptoir !… Ces belles choses étaient des gants, des rubans à bon marché. Il y avait là surtout une pièce entière de ruban bleu broché d’argent. Je la vois encore, tout près du bord, tout à portée de ma main. Quelle bonne fortune, si seulement il se retournait vers ses cartons !… Et de fait il se retourna, Le ruban bleu fut lestement enlevé, je vous en réponds ; mais, une fois que je le tins, la peur me prit, et je me sentis trembler de la tête aux pieds. La main derrière mon dos, le regard stupéfié, la contenance perdue, il n’eût fallu que me regarder pour savoir ce qui en était. Le marchand ne me regarda point, et le ruban accusateur passa de ma main dans les doigts exercés de ma compagne, entrée à petit bruit derrière moi, et qui s’évada sans plus de tapage. Maintenant il fallait trouver un prétexte pour disparaître, car enfin le marchand allait certainement constater la perte de ce ruban, et certainement aussi m’accuser de l’avoir dérobé. A