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à volonté, et en tournant cette lucarne en face de l’objectif de la lunette l’observateur peut choisir la partie du ciel qui lui convient le mieux. La lune est encore cachée que déjà l’assistant la guette et braque sur le point de l’horizon où elle est attendue le télescope flanqué entre les deux ailes de la lourde machine. Quoique pesant près d’une tonne, cette masse obéit en serviteur docile à la main qui sait la réduire et vit en quelque sorte du souffle de sa volonté. L’astre paraît ; il est aussitôt salué par ce bruit de piston que nous avons déjà entendu dans une autre salle de l’observatoire. Le claquement de la clé d’ivoire se répète chaque fois que la lune passe par les douze fils entre-croisés dans le champ du télescope, six horizontaux et six verticaux. L’observation terminée, une autre recommence : on démonte alors et remonte l’instrument, qui se laisse faire avec la soumission d’un éléphant ramassant une aiguille au bout de sa trompe. Le service de l’altazimuth est un de ceux que redoutent le plus les assistans de Greenwich durant les sombres nuits de novembre, qui sont pour eux des nuits blanches. Exposés pendant de longues heures aux souffles irritans des vents d’ouest, ils reçoivent en plein dans les yeux cette morne clarté de la lune, la plus fatigante de toutes pour la vue. Et cependant Phœbé est décidément la favorite de l’observatoire : lorsque plusieurs objets se disputent l’attention des astronomes de Greenwich, elle obtient toujours la préférence. Il est d’usage dans l’établissement, depuis un temps immémorial, de suspendre le dimanche les observations du ciel ; ce jour-là on donne congé aux astres ; un seul se trouve excepté de cette règle, et c’est la lune. Les yeux d’Argus qui la guettent ne se reposent ni jour ni nuit durant toute l’année[1]. On parle d’ailleurs d’elle comme d’une personne ; elle a un âge, une figure ; elle est jeune ou vieille selon le nombre des jours qu’elle se trouve avoir depuis sa naissance. Et pourtant qu’on ne s’y trompe point, ces observations obtenues à l’aide de l’altazimuth, pas plus que celles faites avec le transit-circle, n’ont rien en elles-mêmes de très poétique. De quoi s’agit-il en effet ? De déterminer le moment exact où tel astre apparaît sur un point du ciel et celui où il disparaît. Jusqu’ici l’observatoire de Greenwich traite un peu les affaires du monde étoile à la manière d’un négociant de Londres marquant sur son livre les entrées et les sorties. Certes il faut que de tels travaux

  1. Les Anglais, hommes d’affaires jusque dans les choses de la science, aiment a exprimer par des chiffres et des sommes d’argent l’importance qu’ils attachent à la vérification de certains phénomènes célestes. Les observations de la lune entrent pour un tiers, c’est-à-dire 1,000 livres sterling (25,000 francs), dans l’ensemble des frais annuels de l’établissement. Chacune d’elles complète, est évaluée à 10 livres sterling (250 francs).