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il a été fondé, et dont il dirige les courses lointaines à la surface des mers par une sérieuse étude des mouvemens du ciel.


I

Greenwich figure avec honneur parmi les anciennes villes historiques de l’Angleterre. Là résidait Édouard IV, là naquirent dans un palais qui n’existe plus aujourd’hui Henri VIII, Marie Tudor et la reine Elisabeth. Dans une taverne qui s’élève au bord de la Tamise a encore lieu tous les ans, à la fin de chaque session parlementaire, le fameux white-bait dinner[1]. Deux rues parallèles traversent toute la longueur de la ville, et conduisent du bord de l’eau à deux grilles commandant l’entrée du parc, qui fut dessiné par Le Nôtre du temps de Charles II et enclos de murs sous le règne de Jacques Ier. Le terrain, d’abord plat et uniforme, se relève brusquement en une colline plantée de sapins et d’autres arbres toujours verts. Au sommet de cette éminence, qu’on gravit par un étroit sentier, règne une terrasse d’où le regard s’étend à perte de vue sur un horizon peut-être unique dans le monde. Il existe à coup sûr des points de vue plus attrayans. pour le paysagiste, mais en est-il qui donnent une plus grande idée de l’homme et des conquêtes de l’esprit sur la matière ? Où trouverait-on une pareille accumulation de force, de travail et de richesse ? Sur le premier plan s’élèvent l’école navale, Royal naval asylum, et l’hôpital des invalides de la marine, Royal hospital for seamen, surmonté de deux dômes dont le temps a terni les dorures. Plus loin, la Tamise, qui se replie sur elle-même, apparaît toute tachetée de voiles et de bateaux à vapeur. Au-delà et sur le fond de la scène, les hautes cheminées des usines, les chantiers de construction, les forêts de mâts abrités dans les docks se confondent en une masse vaporeuse où l’on distingue vaguement le triomphe des industries maritimes.

Planté surtout d’ormes et de châtaigniers d’Espagne, le parc de Greenwich se distingue par le grand âge de ses arbres. Quelques-uns d’entre eux, s’il faut en croire la tradition, ont vu passer la reine Elisabeth. Quelle vigueur encore dans les membres tordus et noueux de ces géans ! Ce sont de véritables monumens du règne végétal ; leurs énormes racines dénudées et entre-croisées comme des nœuds de boas, leur prodigieux tronc, dans lequel le temps a

  1. Le white-bait (blanquette) est un très petit poisson qui se pêche en aval du fleuve, et qui, accommodé selon les règles de l’art, forme une des délicatesses de la cuisine anglaise. Le dîner d’adieu qui rassemble à Greenwich les membres du parlement doit naturellement son nom à ce plat très estimé.