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Cependant si les puritains ont donné de prime abord la mesure de leur indépendance, s’ils ont déclaré vouloir vivre de leur vie propre et ne relever que de leur conscience, ils n’ont pas su néanmoins répudier la grande erreur du moyen âge, celle qui consiste à faire du citoyen et du croyant une seule et même personne et à essayer de fonder un état chrétien à l’aide de lois et de sanctions pénales. Ils greffèrent le droit du citoyen sur celui du croyant, et pour être membre de la société civile et politique il fallait être membre de la société religieuse. Dans cet ordre d’idées, le gouvernement qu’ils fondèrent était une théocratie démocratique. L’on comprend dans quel dédale de difficultés des principes de cette nature devaient faire tomber les puritains. Ils ont recours au judaïsme, dont ils méconnaissent le caractère préparatoire, pour en faire le cadre de leur société et la base de leur législation. Le péché devient un délit, et l’incrédulité un crime. La contrainte en matière religieuse entre à pleines voiles dans les institutions. On force le citoyen à souscrire au credo officiel en lui présentant la perte de ses droits, de sa fortune, de sa liberté et même de sa vie comme châtiment de sa désobéissance.

Mais la théocratie démocratique diffère essentiellement de la théocratie monarchique ; celle-ci se maintient envers et contre tous sans tenir aucun compte des désirs et de la volonté des peuples sur lesquels elle étend son empire. Elle reste immobile lorsque tout change autour d’elle, et que de nouveaux et d’impérieux besoins se manifestent dans tous les rangs de la société. La première au contraire ne conserve ses institutions qu’aussi longtemps qu’elles sont le reflet des mœurs et qu’elles ne se trouvent pas au-dessous du niveau moyen des lumières. Une théocratie monarchique peut être un malheur pour les peuples pendant des siècles ; une théocratie démocratique ne l’est jamais pour longtemps. C’est ce que prouve l’histoire de la première époque des états d’origine puritaine. Après des erreurs, des méprises, des fautes, et nous ajouterons des crimes judiciaires, ils se sont livrés à de nombreux tâtonnemens qui ont abouti en définitive à la séparation complète du domaine civil et du domaine religieux. L’église a été radicalement émancipée de la tutelle de l’état, et celui-ci de la tutelle de l’église. Il est resté de cette éducation théocratique un caractère religieux fortement accusé, des mœurs sévères, le sentiment de la dignité humaine que la foi au sacerdoce universel doit communiquer, une grande susceptibilité dans tout ce qui touche aux droits de la conscience, des habitudes de discipline qui suppléent aux lacunes des lois, et une intelligence supérieure de la chose publique.

Nous doutons que le puritanisme seul eût pu résister à ses nombreux adversaires, à l’anglicanisme qui s’était établi en maître dans la Virginie et les deux Carolines, au catholicisme romain qui sous lord Baltimore avait pris possession du Maryland et dominait dans les états d’origine française et espagnole, enfin aux flots grossissans de l’émigration, si des fractions de toutes les églises issues de la réforme, dans leurs élémens les plus purs