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que les peuples européens qui tendent vers ce tout soient près de l’atteindre. Nous sommes dans une période transitoire où les affinités dynastiques et la politique personnelle des souverains peuvent encore contrarier, tout en les subissant en partie, les tendances naturelles des peuples Qu’on prenne l’exemple de la Prusse : il y a là certainement une nation et une grande nation qui vit de sa propre vie, dont les citoyens, animés d’une émulation généreuse, grandissent par l’instruction, par la science, par le travail, par l’intelligence et l’énergie industrielles, par une forte éducation militaire. Le peuple prussien est évidemment appelé à être un jour le seul arbitre de ses destinées ; ce jour-là, le peuple français, nous en sommes convaincus, s’il a marché d’un pas égal dans la voie du progrès viril, et s’il a fait porter tous ses fruits à sa glorieuse révolution, ne devra donner aucun ombrage à la nation jurassienne, ni redouter d’elles aucun antagonisme, quelque puissante qu’elle soit devenue. Mais les choses sont loin encore d’être aussi simples que cela. Malgré toute la sève moderne que la Prusse possède, son gouvernement continue à employer avec une vigueur pleine de franchise les procédés monarchiques d’ancien régime. Il y a une dynastie en Prusse, et cette dynastie possède encore les idées, les inclinations, les traditions et les ressources que les anciennes familles souveraines apportaient autrefois dans les combinaisons de la politique européenne. Dans cet ordre de choses, toute sorte d’étroites relations existent entre la famille royale de Prusse et les grandes ou les petites cours d’Europe. On nous parle de la fin de la coalition du nord : la force de cette coalition résidait surtout dans l’union étroite et aujourd’hui séculaire des maison et des cours de Prusse et de Russie ; les relations intimes qu’ont entretenues depuis le partage de Pologne les maisons régnantes de Russie et de Prusse ont été et sont encore un des ressorts les plus puissans de la politique générale de l’Europe. Voilà ce monde européen où aux choses modernes se mêlent encore tant de vieilles pratiques et de vieilles forces demeurées vivaces : on nous prévient que nous l’allons aborder avec la liberté des alliances ; la liberté soit, mais n’est-il point visible que nous n’y avons pas, dans l’ordre de choses que nous indiquons, l’identité des moyens et l’égalité des chances ? Avant la révolution, sous l’ancien régime, nous luttions contre les influences de dynastie et de cour qui survivent encore ailleurs par des influences semblables. Nous avions nos pactes de famille ; nos alliances dynastiques s’entre-croisaient avec toutes les maisons régnantes d’Europe ; les fils de nos rois trouvaient tout autant d’unions dans les cours allemandes qu’en peuvent nouer de nos jours les grands-ducs de Russie ; des princes, allemands, des princes étrangers, à la suite de ces mariages, prenaient du service en France et ne se trouvaient point expatriés à Versailles. La perte de ces trains, de ces appendices, de ces cortèges princiers, ne nous inspire, Dieu merci, aucun regret pour la France. Il importe cependant, quand nous parlons de la liberté des alliances, de noter pour mémoire que nous ne possédons plus, pour la formation et la