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ont pris corps, et les forces de la nature conçues par l’esprit sont devenues des divinités. Le temps ayant marché, les peuples dans leurs déplacemens ont oublié la théorie pour ne conserver que la légende, supprimé la métaphysique et gardé les symboles religieux. Ceux-ci à leur tour, ayant perdu leur sens, n’ont plus satisfait des esprits que la civilisation éclairait de plus en plus et n’ont plus été, que des objets d’art ; mais aujourd’hui que nous possédons dans le Vêda un monument fort antique, où la période des légendes est commencée, mais où celle de la métaphysique dure encore, nous y retrouvons l’explication de presque tous les mythes de la Grèce et des autres pays aryens. En réunissant tout ce qui, dans les hymnes du Vêda, concerne la liqueur sacrée, la plante qui la fournit, la préparation, les usages, les effets du sôma, et en substituant au végétal d’Asie la vigne qui l’a remplacé en Occident, on obtient la théorie de Bacchus telle que l’écriture sainte des Aryens nous la donne.

Tout le reste s’ensuit : il n’est pas un seul détail soit du mythe, soit de la fête de ce dieu, qui ne tire de là son interprétation naturelle. La fête, qui est celle des vendanges, se compose nécessairement de deux parties, l’une religieuse, mystique et grave, l’autre populaire, enthousiaste et grotesque. La cérémonie liturgique est un sacrifice sur l’autel, où le double corps de l’offrande est le vin et le bouc, et où l’hymne porta le nom de dithyrambe ; le vin était le dieu s’offrant lui-même et montrant son énergie vitale par l’activité qu’il donnait à la flamme du foyer sacré où il était répandu ; le bouc était immolé par cette raison bien simple que pour faire une outre il faut un bouc, Or le meurtre d’un être vivant étant un acte anti-religieux pour les Aryas primitifs, auteurs des sacrifices, le péché de tuer un grand nombre de ces animaux pour recevoir le vin des vendanges ne pouvait être effacé que par l’offrande qu’on en faisait à Bacchus. C’est une erreur théorique de l’école allemande de voir dans le sacrifice du bouc un acte de vengeance contre un animal qui ronge les vignes. D’abord la vigne est une plante des coteaux, la chèvre est un animal des montagnes ; ils ne se rencontrent guère l’un près de l’autre, et les troupeaux ont leurs pasteurs. De plus, jamais une cérémonie religieuse n’est issue d’un sentiment de vengeance, au moins dans notre race. Nos religions sont des théories métaphysiques inspirées par une grande conception de la nature, et nos rites sont des actes de grâce et d’amour ; c’est l’adoration qui les anime. Au moment où le prêtre en adorant Bacchus lui offrait l’animal immolé, les chantres entonnaient l’hymne qui prenait le nom de chant du bouc, de tragédie.

La fête populaire des vendanges représentait avec les costumes appropriés le cortège complet de Bacchus. Il descendait le soir des