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cour des princes, qui sont les fils ou les descendans des anciens preux ; ils mangent à part et non à la table des maîtres ; ils sont nourris et entretenus par eux, mais au prix de leur liberté, qui ne va même pas jusqu’à choisir à leur gré le sujet des chants dont ils égaient les festins. Du reste ils sont honorés ; on les épargne comme étrangers aux querelles des rois, et comme leur art les met fort au-dessus de ces princes et de la foule populaire d’où ils sont sortis, on va jusqu’à les regarder comme inspirés des muses et d’Apollon.

Combien de temps s’est-il écoulé entre l’époque de l’Iliade et celle de l’Odyssée ? Je l’ignore ; mais si je considère les profonds changemens survenus dans les idées religieuses, sociales et politiques, le chemin parcouru par l’épopée d’orient en occident et enfin la transformation profonde opérée dans la poésie et dans la condition des poètes, je suis porté, comme la plupart des nouveaux critiques, à mettre entre les deux poèmes le même intervalle de temps qu’entre les deux épopées indiennes et qu’entre les premières chansons de gestes et les romans d’aventures. Cet intervalle est de plusieurs siècles. Du reste il ne faut pas se faire d’illusions en voyant l’ordre qui règne dans la marche des deux poèmes homériques et le peu de contradictions qui s’y trouve : nous sommes loin d’en posséder les textes primitifs. Quand les professeurs du musée d’Alexandrie mirent la dernière main à ces œuvres antiques et leur firent subir un dernier remaniement, elles avaient déjà subi plusieurs élaborations de la part des éditeurs de la Grèce et de ses colonies. Ces retouches successives s’étaient répétées pendant près de quatre siècles depuis l’époque où Pisistrate fit faire la première rédaction suivie des fragmens homériques, dont la confusion et le désordre étaient extrêmes. Ce que nous possédons, c’est l’œuvre des alexandrins : tout le travail antérieur ne nous est connu que par l’histoire. Aussi nos éditions modernes, reproductions fidèles des textes d’Alexandrie, diffèrent certainement beaucoup des chants des aèdes et des cantilènes héroïques qui sont venus se fondre dans l’Iliade.


III

Pour qu’il ne reste aucun doute sur les progrès accomplis depuis Otfried Muller dans la science des littératures, j’appellerai encore l’attention du lecteur sur les origines du drame. Le drame fut la gloire de la Grèce comme l’hymne fut celle de l’Inde ; la gloire de l’épopée leur est commune. Or le drame, né en Grèce dans les temps historiques, a suivi dans sa marche la loi la plus simple et la plus facile à saisir. Ses deux élémens constitutifs sont le chœur