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— Cameron, lui dis-je, contez-moi ce qui vous fait ainsi pleurer.

Ma voix, qui n’était pas celle de sa surveillante habituelle, la fit tressaillir. Elle jeta de mon côté un regard automatique. — Je n’ai rien, me répondit-elle ensuite avec cet accent écossais dont quelques intonations vous rappellent à moi d’une façon surprenante.

— Vous venez de pleurer… Seriez-vous souffrante ?… Quelqu’un vous a-t-il contrariée, blessée ?… L’ouvrage vous déplairait-il ?

— A quoi ces questions peuvent-elles mener ?

— A connaître vos griefs, à y faire droit, s’ils sont fondés. Nous ne voudrions pas vous voir en révolte.

— Vraiment ?… Cela vous ferait donc quelque chose ?

— Cela me serait très pénible.

— Eh bien tant pis ! Je veux en effet me révolter,… un break me fera du bien.

— Le ton de Cameron était celui d’une personne qui a pris son parti. Grâce à l’influence d’un chagrin jaloux, ses mauvais instincts étaient revenus en force. Sur ce cœur aigri, la douceur pouvait seule avoir quelque prise.

— J’espère, Cameron, que cela ne sera point.

— Vous espérez, reprit-elle fort étonnée de ce que je ne relevais pas son défi. Est-ce pour votre compte ou pour le mien ?

— Pour le mien peut-être un peu,… mais pour le vôtre bien davantage.

Elle hocha la tête d’un air passablement incrédule. Pourtant une sorte de curiosité lui vint de savoir à quelle étrange espèce appartenait une personne qui lui témoignait un intérêt si gratuit.

— Bah ! dit-elle tout à coup, vous n’imaginez peut-être pas faire de moi ce qu’on appelle une brave femme ? Ce serait une nouveauté, ma bonne miss, et je suis un peu vieille pour changer à ce point.

— J’ai là-dessus une tout autre opinion, et malgré tout, Cameron, j’espère en vous… Tenez, continuai-je, augurant bien du jeu de sa physionomie, faisons pour ce soir une petite convention… Il reste entendu que vous ajournerez votre break.

— Pour vous faire plaisir ?

— Oui, pour me faire plaisir, La, est-ce chose dite ?

— Soit ! pour vous faire plaisir.

— Bonne nuit, Cameron.

— Bonne nuit.

Et je partis sans lui laisser le temps de se dédire. Cette bonne résolution enlevée avec si peu de peine me donnait bon espoir. Jamais voleur n’emporta la bourse d’un honnête homme avec une joie aussi triomphante que l’était la mienne.