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Tant qu’il revêtira son rêve le plus cher,
Son désir le plus pur, sa plus douce pensée,
De la plus belle forme et la plus caressée,
Comme on aime à vêtir les enfans de sa chair ;

Tant qu’il appellera du haut de sa souffrance
L’invisible inconnu qui ne veut pas venir,
Que, lassé du présent, il aura l’espérance,
Comme, las de l’espoir, il a le souvenir ;

Qu’il n’aura pas brisé l’étau de ce dilemme
Dont les tenailles sont la douleur et l’amour,
Qu’en son âme anxieuse il dira tour à tour :
Je souffre, donc je doute, et je crois, puisque j’aime ;

Tant que demain rira des rêves d’aujourd’hui,
Tant qu’aujourd’hui rira des rêves de la veille,
Que l’homme sera jeune et la science vieille,
Que le ver de la tombe en saura plus que lui ;

Aussi longtemps qu’heureux il se croira coupable,
Que, sorti du néant, il s’en verra suivi,
L’homme te parlera, langue de l’impalpable,
Langue de l’impalpable et de l’inassouvi !


EDOUARD PAILLERON.