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Voltaire, ce n’est pas à Buffon, ce n’est pas même à Rousseau, plus soucieux du pouvoir du peuple que de la liberté, ce n’est pas à Descartes, ce n’est pas à Pascal, ce n’est pas à Bossuet, ce n’est pas non plus à Fénelon, plus aristocrate que libéral. Ainsi le principe de la liberté appartient en propre à Montesquieu, au moins dans notre pays, et en Angleterre même Locke ne l’avait exposé avant lui que dans un livre solide sans doute, mais pâle, diffus et sans éloquence.

L’écrivain le plus sacrifié au XVIIIe siècle par M. Nisard est Jean-Jacques Rousseau. Il est facile de le comprendre : Jean-Jacques Rousseau, c’est l’esprit d’indiscipline et de révolte, c’est en outre l’esprit d’utopie ; c’est en un mot tout ce qu’il y a de plus contraire au principe de la tradition et de la discipline. Ajoutez que, dans Rousseau, le faux est presque toujours mêlé avec le vrai, et qu’il se trouve par là en contradiction avec le principe des vérités générales. Aussi M. M isard ne dissimule pas son éloignement pour cet écrivain. « Entre ceux qui aiment Jean-Jacques Rousseau, dit-il, et ceux qui ne lui rendent que justice, il se range décidément parmi les seconds. » Mais rend-on bien justice à ceux que l’on n’aime pas ?

Cet éloignement de M. Nisard pour Jean-Jacques Rousseau le rend très clairvoyant à l’endroit de ses défauts. La personnalité, la chimère, la moralité de tête, la sensualité, la déclamation, tels sont les vices que M. Nisard reproche à ce célèbre écrivain, et les plus sympathiques amis de Rousseau sont obligés de reconnaître que tous ces reproches sont fondés. Est-ce à dire que nous adhérions au jugement définitif de M. Nisard ? Non, sans doute, car il nous semble que, s’il a relevé avec justesse les défauts et les travers de Jean-Jacques Rousseau, il n’a pas fait la part assez large à ses rares et fortes qualités.

M. Nisard a cependant signalé la plus grande nouveauté du talent de Jean-Jacques Rousseau, à savoir l’amour de la nature ; mais peut-être n’en a-t-ii pas assez fait ressortir l’importance. C’est là, à ce qu’il nous semble, une très grande chose, et non pas un mérite de détail que l’on relève en passant. L’homme à qui nous devons en quelque sorte un nouveau sentiment n’a-t-il pas fait un bien grand don à l’espèce humaine ? Je ne veux pas dire que Rousseau ait inventé l’amour de la nature, car on n’invente pas le cœur humain ; mais il a senti si vivement et peint si énergiquement cette grande passion, qu’elle lui appartient comme en propre, ainsi que l’héroïsme à Corneille. Rousseau nous a découvert la Suisse, et a eu le premier l’idée des grandes beautés sauvages et naturelles. Au XVIe siècle, Montaigne, visitant la chute du Rhin, n’y trouve