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régner, le goût du pouvoir absolu, une involontaire répulsion contre tous ceux qui s’affranchissaient de son empire ? Sa dureté à l’égard de Fénelon et de Malebranche pour des opinions toutes spéculatives, son allusion barbare à la mort de Molière, qui mourut, comme on sait, dans un dernier acte de dévouement pour ses pauvres compagnons de scène, le ton perpétuel d’autorité impérieuse avec lequel il décrète et promulgue ses pensées comme des lois et des dogmes, tout cela, dis-je, est-il absolument exempt de tout orgueil humain, et la vérité est-elle si hautaine et si insolente ? Tels sont mes doutes à l’égard de Bossuet, et si je les exprime, c’est non point pour diminuer cette grande figure, mais par impartialité, et pour lui appliquer la même méthode de stricte justice que M. Nisard applique sans remords et sans scrupule à d’aussi grands hommes que lui.


III

Les théories précédentes semblent nous annoncer dans M. Nisard un juge sévère et prévenu du XVIIIe siècle. Défenseur de la tradition et de la discipline, comment goûtera-t-il ce siècle d’indépendance et de liberté ? Il est évident que M. Nisard a vu le péril, et qu’en abordant le XVIIIe siècle il s’est imposé d’être équitable. On voit dans son livre une sorte de combat. Par son principe des vérités générales, il est accessible et sympathique à ce que le XVIIIe siècle a pu dire de vrai ; par son principe de la discipline, il se défie même de ses plus grands écrivains, et il est toujours plus près de la restriction que de l’éloge ; mais à peine a-t-il hasardé une critique, que sa raison et sa conscience lui font craindre d’être trop sévère, et le voilà qui loue de nouveau pour restreindre aussitôt après. Enfin, après une lutte assez prolongée, la passion contenue éclate à la fois : il est un écrivain qui paie pour tous les autres, c’est Jean-Jacques Rousseau.

Distinguons d’abord deux choses dans le XVIIIe siècle : la littérature proprement dite et la philosophie ; par là j’entends la prose sérieuse, histoire, science, politique. Pour ce qui est de la littérature, on ne peut que louer sans réserve tout le dernier volume de M. Nisard. Son goût littéraire n’a pas eu de peine à s’affranchir des banales admirations qui se retranchaient sous la protection d’une fausse tradition classique. Ce sera l’un des mérites de cet ouvrage d’avoir rejeté cette tradition et d’avoir fait avec précision le partage du vrai et du faux classique.

Il y a eu en effet en France un faux classique, non sans honneur et sans gloire, mais qui a nui au classique véritable en imitant et en