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faite après coup, que, pour avoir voulu trop louer Bossuet, il ne l’avait pas assez loué, qui a déterminé M. Nisard à revenir encore, dans son dernier volume, sur Bossuet, qui n’est cependant pas un écrivain du XVIIIe siècle. Massillon lui est une occasion de traiter de nouveau Bossuet comme sermonnaire, et cette fois il le loue surtout de la liberté de son génie. A merveille, voilà le vrai Bossuet supérieurement saisi ; mais il y avait donc quelque chose de nouveau à dire, et le premier jugement était incomplet.

Après avoir trouvé que M. Nisard ne loue pas assez Bossuet, je vais dire qu’il le loue trop, et qu’il lui fait en quelque sorte une place trop élevée au-dessus de l’humanité. Il nous dit par exemple « qu’il n’y a pas d’écrivain qui ait eu plus souvent et plus naturellement raison. Bossuet tombe toujours sur le vrai. » Cependant il reconnaît que Bossuet s’est trompé sur deux points : « il s’est trompé quand il a cru le protestantisme incompatible avec de grandes sociétés réglées et prospères ; il s’est trompé quand il a vu l’idéal des gouvernemens dans la royauté absolue tempérée par des lois fondamentales. » Mais ce ne sont pas là deux petites erreurs, à ce qu’il me semble, et je ne crois pas qu’on puisse dire que celui qui les a commises soit toujours tombé sur le vrai. N’avoir pas deviné la grandeur des sociétés protestantes ni la grandeur des sociétés libres, c’est avoir eu les yeux fermés sur les plus grands faits des temps modernes, sur l’esprit moderne lui-même, tel qu’il est sorti du XVIe siècle, génie momentanément interrompu dans ses destinées par la halte glorieuse de Louis XIV, mais qui devait en avoir de tout autres que celles que rêvait Bossuet. Oserai-je dire ce qui l’a trompé ? C’est que Bossuet ne savait pas l’histoire. Quel paradoxe ! s’écriera-t-on, Bossuet, l’auteur du Discours sur l’Histoire universelle, ne savait pas l’histoire ! De quelle histoire voulez-vous parler ? Je m’explique : Bossuet, savait l’histoire ancienne et l’histoire de l’église ; mais ces deux histoires ne lui servent à rien pour comprendre les temps modernes. Ce que Bossuet ne savait pas, ce qu’on ne savait pas de son temps, c’était l’histoire de notre pays, de ses crises, de ses révolutions, de ses institutions changeantes, autrefois libres dans une certaine mesure, peu à peu supprimées et absorbées par le pouvoir absolu ; c’était l’histoire de l’Europe au moyen âge, au XVe, au XVIe siècle, dans ces temps où l’ordre politique des temps modernes s’était lentement et péniblement élaboré. Enfin dans ce magnifique Discours sur l’Histoire universelle, fait à l’usage d’un prince moderne et d’un prince français, il ne manque que deux petites choses : l’histoire moderne et l’histoire de France. En cela, Bossuet était bien du siècle de Louis XIV. Chose étrange, ce règne de la tradition n’avait pas de tradition ! Ce