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moins, suivant qu’elles se rapprochent plus ou moins du modèle que je viens de tracer. Quel est donc le rôle de la critique ? C’est de chercher dans les œuvres littéraires les raisons du plaisir qu’elles nous procurent. Jouir sans comprendre le pourquoi de sa jouissance est le fait du public, mais comprendre ce pourquoi est le fait du critique. Et quoique chaque œuvre en particulier puisse plaire par des raisons particulières, toutes cependant plaisent ensemble par des raisons qui leur sont communes. Rechercher ces raisons communes, c’est faire une doctrine littéraire ; rechercher ces raisons particulières, c’est l’appliquer.

Il n’y a donc aucune raison pour renoncer, même de nos jours, à établir une doctrine littéraire ; reconnaissons toutefois que cette tâche est plus difficile que jamais en raison même des connaissances plus étendues que nous avons. Plus on connaît de grandes œuvres dans des temps et dans des pays différens, plus il devient difficile de ramener à des principes généraux et à des lois communes tant d’écrits nés dans des conditions très diverses et sous des inspirations opposées. Beaucoup d’anciennes admirations ont disparu, et de nouvelles ont succédé. On a cessé de mépriser les époques primitives, de préférer les ornemens du goût aux audaces du génie, de repousser le familier et le naïf, de trouver ridicules les mœurs et les goûts qui ne sont pas les nôtres. Les règles artificielles données par les rhéteurs ont paru inutiles et froides, et elles ont été remplacées par la liberté. Enfin on a cessé d’étudier les œuvres des écrivains comme des modèles immobiles, comme des types platoniciens ; on les a replacées dans leur temps, et la critique est devenue historique.

Nous voulons donc aujourd’hui que la critique trouve moyen de concilier les lois éternelles du goût, sans lesquelles il n’y a plus de différence entre les bons et les mauvais ouvrages, et cette liberté des formes sans laquelle il n’y a ni création, ni spontanéité dans les œuvres d’art. La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement.

La plupart des critiques de nos jours ont fait pencher la balance du côté de la liberté. Ils se sont surtout appliqués à défendre les droits de l’imagination et l’initiative du génie. On ne voit pas que le génie ait beaucoup profité de la liberté conquise. Nous n’avons donc pas à nous étonner ni à nous plaindre qu’un éminent critique, le seul qui nous ait donné une histoire complète de la littérature