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c’est-à-dire le disciple et l’ami de notre civilisation ; mais il me répugne de le voir se transformer en un représentant dévoué, ardent, incomparable du génie de la France ce prince qui a humilié nos armes, et qui de plus, en accordant aux talens français une faveur pleine de restrictions, a parlé très légèrement de la nation elle-même. N’imposez point au libre essor des idées du XVIIIe siècle le protectorat d’un Louis XIV de Berlin ; laissons plutôt nos grands hommes en république. « C’est la pensée qui a vaincu à Rosbach, » nous dit M. Michelet. Résistons à ces assimilations de victoires fort étrangères entre elles, et que décident des armes si peu semblables. N’acceptons pas ces dédommagemens équivoques qui nous montrent nos principes en progrès là où notre influence et notre honneur déclinent. Un franc aveu de la défaite vaut mieux. Ce qui a vaincu à Rosbach, c’est l’organisation prussienne ; ce qui a succombé, c’est la désorganisation française, ou, si vous le voulez, la réputation militaire de l’ancien régime. Aujourd’hui, sans parler de ces déclamateurs devenus si communs, de ces agitateurs de chimères qui poursuivent l’ombre des idées qu’ils n’ont pas et prennent l’éblouissement pour de la profondeur, il n’est pas rare de rencontrer des esprits distingués, très sensés en tout le reste, qui sacrifient à cette manie jalouse d’opprimer nécessairement l’une par l’autre deux puissances au moins aussi souvent alliées qu’ennemies, et dont chacune ayant son rôle marqué forme l’un des deux pôles sur lesquels s’appuie toute société capable d’initiative et de direction, je veux dire la puissance des armes et celle de l’esprit. Il semble que la grandeur intellectuelle se rehausse à leurs yeux quand de l’autre côté elle est contre-balancée par un abaissement, comme si l’alternative était fatale, comme si la force ne consistait pas dans le choix entier, comme si la supériorité morale, qui reçoit de l’autre de vives inspirations et un soutien trop méconnu, n’avait pas de plus belle prérogative que de servir de consolation aux faibles et de couronne aux humiliés. Une chose nous adoucit le souvenir de Rosbach, ce n’est point le caractère du vainqueur, c’est plus simplement parce qu’un seul jour nous en a doublement vengés.

Après ces exemples nombreux, significatifs, que nous venons d’alléguer, il nous semble que les lacunes de la partie politique de cette histoire ne font doute pour personne. Les considérations philosophiques et littéraires ont-elles reçu un plus large développement ? Les idées, dont l’essor est l’événement capital du siècle, sont-elles mieux traitées que les faits ? Tout se borne à de rapides aperçus, à des notes jetées en courant sur les principaux écrivains du siècle ; nul ensemble, à peine un maigre chapitre. Vives et singulières, parfois d’une haute portée, surtout quand l’auteur, en son brusque langage, nous darde son impression personnelle, très