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et une fois quitte de sa tâche princière, de son royal pensum, il se hâte vers le repos. Il a obéi à ses mentors ; sa conscience d’écolier ne lui reproche rien. Le roi qui s’annonçait s’est éclipsé.

L’insuffisance de Louis XV se reconnaît encore à cet autre signe : l’absence de vues personnelles. Il n’a pas de système de gouvernement. Son unique principe, c’est l’imitation. Élevé dans le vide immense laissé par Louis XIV, son enfance silencieuse et solitaire avait reçu l’impression des lieux, des regrets, des souvenirs qui lui retraçaient la merveilleuse histoire du précédent règne. Il avait lentement recueilli ce visible et public testament de grandeur et respiré l’atmosphère récente de cette longue apothéose. Ce sentiment de vénération pour une puissante mémoire, le seul qui ait eu prise sur cette âme débile, lui tint lieu de règle et d’invariable maxime. Il y attacha sa volonté flottante ; ce fut le seul ressort qui parut faire mouvoir le fantôme. Imiter Louis XIV, prendre ce qu’il peut de ce royal esprit, grandir sous l’ombre majestueuse de ce nom protecteur et s’y abriter, son ambition ne va pas au-delà. Il a tellement besoin d’être soutenu, il existe si peu par lui-même, qu’il se cherche des appuis et dans le présent et dans le passé. Il n’est pas roi, il est d’après un roi. Du reste, cette imitation, son plus louable effort, lui réussit pour un temps. Entouré de vieillards qui ont connu Louis XIV, de Nestors fanfarons, mais expérimentés, qui vantent sans cesse les combats de géans où leur bras s’est montré, les prodiges de cet âge héroïque, il remet en honneur les anciennes coutumes, la vieille discipline et le vieil esprit ; il remonte peu à peu les ressorts de l’état, et avec cette vigueur d’emprunt il fait face à l’ennemi. Un semblant de grandeur se répand sur la cour efféminée et la nation engourdie. Nos armées trouvent à Fontenoy, à Raucoux, à Lawfeld, un regain de gloire. On signe en 1748 une paix infructueuse, mais honorable. L’éclat des fêtes de Versailles rejaillit de nouveau sur l’Europe étonnée ; le génie des arts et des lettres y paraît en courtisan sous les traits de Voltaire ; Jean-Jacques Rousseau y figure pour la musique d’un ballet ; la philosophie, à cette heure, est incertaine, désarmée ou soumise ; la révolution ne gronde pas encore dans le lointain, et le cours du siècle peut changer. Croirait-on que ni ces nuances si marquées du caractère de Louis XV, ni ce fugitif rayon qui éclaire le règne ne paraissent dans la tristesse uniforme des peintures tracées par la main trop sévère et l’excessive concision de M. Michelet ?

Plus tard, quand le royal personnage, s’amoindrissant de jour en jour, est devenu cet être ennuyé, avili, qui fait honte à la débauche même, toute pensée sérieuse n’a pas absolument disparu de cette âme éteinte. Il est moins bas qu’on ne le suppose. Il se