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il gelait. M. Amelot et M. de Breteuil arrivèrent et lui dirent qu’il se jouait à se tuer. « Bon, bon, messieurs, leur dit-il, vous êtes des douillets. » A quatre-vingt-dix ans ! quel homme ! Sire, vivez autant, dussiez-vous dire la messe à cet âge et moi la servir ! » Je ne demande pas à M. Michelet de servir la messe du cardinal, mais simplement d’être aussi juste envers lui que l’ont été ses deux ennemis, Voltaire et Frédéric.

Louis XV n’est pas moins maltraité que son ministre, bien qu’il soit difficile de maltraiter Louis XV. M. Michelet ne tient aucun compte, je ne dirai pas de la correspondance récemment publiée par M. Boutaric et qu’il n’a sans doute pas connue, mais de celle qui l’année dernière a eu pour éditeur zélé et convaincu M. Camille Rousset. On dirait qu’il ne l’a pas lue, tant elle lui fournit peu, et cependant elle se rapporte à l’époque même dont il écrit l’histoire. A quoi bon rechercher curieusement et exhumer avec ardeur des informations nouvelles, si les plus intéressantes découvertes sont lettres closes pour les historiens ? Il ne s’agit pas ici de réhabiliter un roi justement condamné, mais de mieux pénétrer un caractère en partie mal connu. La sentence définitive restera sévère, mais les motifs du jugement seront plus nettement exprimés, et quelques restrictions en adouciront la rigueur. Même à ne considérer que le mérite littéraire de l’œuvre, souci toujours grave pour un écrivain tel que M. Michelet, il y aurait intérêt, ce me semble, à raviver et rafraîchir ce sombre portrait.

Louis XV n’était pas fatalement voué au mal et déshérité du bien. Sa nature molle et dissolue, qui devait aller si loin dans l’abaissement continu, ne manquait à l’origine ni de dignité, ni de bon sens, ni de distinction. Ce sol léger contenait des semences de probité et d’esprit, d’où pouvait sortir, sous une influence plus saine, un caractère d’honnête homme et de roi. Chez lui, rien n’accuse l’ascendant irrésistible de ces principes vicieux dont le développement souille et flétrit une destinée. Ce n’est point une âme marquée d’un sceau de réprobation et de disgrâce morale. La fatalité corruptrice est venue du dehors. Tous nos grands rois, Louis XIV, Henri IV, Charles V, avaient eu pour début et pour école l’adversité. Louis XV est l’élève du despotisme florissant. Ce qui l’a perdu, ce fut d’être tout ensemble si faible comme homme et si peu contesté comme roi ; ce fut l’incapacité absolue de la volonté jointe à l’absolu de la souveraine puissance. Contre des séductions, qui pour le vaincre s’armaient de son pouvoir illimité, que pouvait-il, âme sans nerf, intelligence sans gouvernail, sinon flotter à la dérive au milieu des voluptés et s’y abîmer ? Louis XV et son successeur, ont cédé tour à tour à l’une des deux influences suprêmes du XVIIIe siècle : le plaisir et l’idée. En cédant, ils ont livré, l’un le prestige