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espiègles impérieuses, M. Michelet, trop fidèle à ses habitudes de crédulité déplacée, fait planer l’ombre des flottantes calomnies, des rumeurs sournoises, des fuyantes et anonymes délations qui caressent sa chatouilleuse oreille, et sont pour lui, en toute enquête historique, comme les épices du juge. Beaucoup de jolis groupes et nul ensemble ; des médaillons artistement nuancés, et pas de tableau. Le jour mystérieux des boudoirs, les délicates confidences des amours illégitimes remplacent les clartés du grand jour et la discussion des affaires de l’état.

Tous ces petits faits, choisis, assemblés, commentés dans leur singularité piquante, forment un contraste frappant avec le style haut en couleur et la légère enflure de l’écrivain. De là d’assez nombreuses dissonances, le mesquin se heurtant à l’emphatique, de beaux fragmens dignes de l’ode ou de l’épopée éclatant au milieu des crudités triviales, la verve de Tacite hors de saison, l’illuminisme teignant de ses lueurs empourprées les frivolités du commérage, d’admirables élans qui ne se soutiennent pas, des effusions soudaines et ravissantes, pareilles à des chants qui traversent l’air, et sur le tout quelque chose de brusque, d’âpre, d’irrégulier, d’ardent et de chatoyant qui court, qui surprend, qui saisit, qui éblouit.

À ce talent d’une étonnante richesse, deux choses ont manqué, sans lesquelles il est bien difficile d’être un historien accompli : la force et la grandeur. Résistez à l’enveloppement d’influence prestigieuse où nous maîtrise et nous caresse cette nature charmante et subtile, nature maladive, alanguie, demi-close, belle et peu sûre, dangereuse comme la nuit, diraient les Orientaux : au fond, que trouvez-vous ? Avec la toute-puissance féminine, la faiblesse de la femme. Cette faiblesse, le cœur véhément et plein d’orages la soulève, l’éclair de la passion la transfigure ; elle monte, elle s’exalte, l’énergie passagère qu’elle déploie a quelque chose de crispé ; on sent à la fièvre qui l’agite qu’elle n’attaque pas un sujet de haute lutte, mais par une série d’efforts saccadés. Comme l’énergie, l’élévation de l’esprit procède chez lui par accès et par soubresauts. Sa pensée, bien que magnanime, n’a pas cette simplicité d’attitude, marque essentielle de la grandeur, ni cette tranquille assurance du génie qui s’élève sans sortir de lui-même, et, libre en sa démarche, s’avance sur les hauteurs insouciant comme un dieu. Dans ses élans, les nerfs inquiets entrent en jeu. Il est rare que M. Michelet atteigne la vérité par le plus court chemin et l’aborde de plain-pied. Il l’exagère ou la rétrécit, il lui donne des visées orgueilleuses et un développement étriqué. Maigre ou enflée, elle n’a guère d’autre alternative, et connaît peu la ferme plénitude de la santé. La vérité, présentée