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dépit des désœuvrés contre l’activité heureuse, les imaginations de la sottise privée ou publique, dupe d’elle-même et d’autrui, qui tend à la crédulité future le piège éternel d’une mystification involontaire. L’histoire du XVIIIe siècle en est submergée ; sa face grandiose en est souillée et amoindrie. Quand il s’agit de peindre en traits généraux ce qu’il y a de plus changeant, de plus extérieur, de plus insaisissable dans la vie animée d’une société, ses mœurs avec leurs nuances mobiles, ses modes, ses engouemens, ses plaisirs, le côté frivole de ses passions et de ses idées, l’atmosphère inflammatoire où fermentent les têtes légères, tous ces riens déliés, fugitifs, éphémères, qui en se condensant forment la flottante rumeur des cours et des capitales, de pareils témoignages sont alors précieux ; le vague y devient un mérite, la confusion bavarde dont ils sont pleins est déjà par elle-même une vivante et fidèle image de la réalité. Le tort de M. Michelet, c’est de transporter avec trop peu de scrupules dans l’histoire politique, qui ne doit s’ouvrir qu’au juste et au vrai, ce qui de sa nature est si sujet à l’inexactitude et à l’injustice. Figurez-vous quelqu’un qui, de nos jours, voudrait juger les gouvernemens et décider des réputations sur les gais propos de la petite presse. Or la petite presse, qui s’étale aujourd’hui, existait, il y a un siècle, en se cachant ; elle s’écrivait à huis clos, avec d’autant plus de hardiesse ; elle faisait ses malices posément, avec calcul, et pour une échéance indéterminée, non pas au jour le jour et sous le contrôle de tous ; elle existait par les mêmes raisons qui la font en ce moment prospérer, car la vie privée n’est jamais si turbulente, si débordée en paroles et en gestes que lorsque la vie publique est frappée de paralysie.

L’érudition puisée a de telles sources a un attrait qui est aussi un écueil : la facilité. Tout s’y trouve et elle rend tout possible. Avec cette matière molle et complaisante, un esprit inventif compose à son gré des poèmes de conjectures très divers et tous également vraisemblables. Elle a un autre inconvénient : elle abaisse la dignité de l’histoire, elle en brise l’unité. Elle en fait une sorte de mémoire collecteur, surchargé des petitesses accumulées de tous les temps, bigarré de ces privautés du style que se permet envers lui-même celui qui n’écrit que pour lui seul. Elle étouffe le principal sous les incidens, elle morcele le récit en digressions. Cette histoire de Louis XV n’est, à vrai dire, qu’un agencement d’agréables biographies, d’anecdotes vivement contées, dont quelques femmes sont les poétiques héroïnes. On passe de la touchante Aïssé à la noble Lecouvreur et de celle-ci à la belle Cadière. Surviennent avec fracas les royales maîtresses, puis discrètement s’insinue l’enfantine importance des filles du roi. Sur la tête de ces