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séraphique couronnera d’immortelles une auguste tristesse ; l’ambre et l’encens parfumeront le sanctuaire où la vertu gémit, le ciel s’ouvrira, l’inspiration nous portera sur ses ailes au vestibule d’un empyrée royal et chrétien. Avec M. Michelet, nous descendons de l’empyrée à l’hôpital. Dans ses livres pleins de souffles contraires, où les climats se succèdent, où les courans se combattent, on est trop exposé à respirer sur sa route la fade atmosphère où fleurissent les maladies humaines. On se heurte inopinément à des tableaux lugubres qui rappellent la tragédie de Philoctète. Il y a çà et là des vestiges et comme des traînées d’invalides qui sillonnent languissamment le récit. Nous avons tellement épuisé notre science et notre esprit à décrire, analyser, juger et comparer nos personnages, nos héros, nos demi-dieux du passé que, pour innover, nous imaginons de leur tâter le pouls. Heureux le grand homme de bonne santé et de bonne mine ! Nous revenons aux primitives admirations contemporaines de l’Iliade : c’est le véritable esprit des siècles héroïques. Que je plaindrais Socrate, si M. Michelet s’avisait de refaire sa biographie et sa célébrité !

Marie Leczinska, c’est la résignation ; Marie-Thérèse, c’est l’action. L’une pleure ou prie ; l’autre règne, gouverne et se bat, non sans vigueur. Voilà, direz-vous, qui va séduire M. Michelet ! La femme forte, c’est l’idéal ! Point : Marie-Thérèse est Autrichienne et M. Michelet est Prussien. Cela n’empêche pas l’intrépide reine de Hongrie d’avoir eu sa journée historique, l’un de ces momens où l’âme humaine aiguillonnée par le péril touche à la grandeur. Qu’en pense M. Michelet, et qu’en dit-il ? Rien, si ce n’est que Marie-Thérèse était « une grosse femme. » Voilà son mot et sa sentence. « La grosse Marie-Thérèse, » va-t-il répétant à chaque ligne, « la grosse reine des brigands du Danube. » Il n’y voit pas autre chose. La femme forte n’est plus qu’une forte femme. A l’heure difficile et héroïque, il la coiffe d’une épithète à la Paul de Kock. Cette prétendue vérité descriptive, cette matérialité indiscrète qui vient si mal à propos se placer entre nous et le rayonnement d’énergie qui se dégage d’une âme, forme tout simplement un contresens. La laideur visible, qui ne me fait rien, me cache ou me travestit la beauté morale, qui m’importe. Il y a mieux, et voici le piquant de l’affaire : cette vérité physique est une erreur, même physiquement. Marie-Thérèse, née en 1747, est morte en 1780. A l’époque où nous sommes, au commencement de la guerre suscitée par la Pragmatique en 1741, année de l’épithète, elle a vingt-quatre, ans. Sans recourir au cabinet des médailles ou aux galeries des souverains, on peut être sûr que la femme alerte et vaillante, dans sa fleur d’héroïsme et son printemps guerrier, ne justifie pas