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dévoués, avec les bienfaiteurs et les consolateurs de notre race, les Fénelon, les François de Sales, les Channing ; tantôt, par certaines crudités et furies d’expression, par de poignantes ironies, elle semble rivaliser avec les Rabelais, les Juvénal, les Swift, et leur envier les éclats de leur rire amer. Ce n’est pas lui qui fermera les yeux sur nos laideurs, qui couvrira de son manteau nos infirmités. Dans les scènes qu’il évoque figure presque toujours une farandole burlesque et comme une danse macabre, où chaque personnage paraît à son tour, chassé d’un coup de fouet impitoyable, déshonoré d’un ridicule, percé d’un sarcasme. Il en est sur qui il s’acharne avec une âpreté fébrile et une rancune, convulsive ; il enfonce la griffe, il fouille la plaie, il leur darde au cœur des mots aigus, tranchans, de ces coups de plume profonds et forlongés, comme dit Saint-Simon, son modèle. Sa justice s’exerce à la façon d’une vendetta.

Le XVIIIe siècle offre à l’irritable historien plus d’une proie légitime. Bien souvent, dans ces exécutions qui étincellent de l’éclair du glaive, le martyr justifie le bourreau. Il est cependant des cas où l’enlaidissement, procédé cher à cet artiste, blesse l’équité et la vérité non moins que les convenances. En voici deux exemples : il s’agit de deux femmes, de deux reines, Marie Leczinska et Marie-Thérèse. Il se peut que la reine Marie Leczinska ait été un esprit médiocre et borné, mais c’est un caractère respectable, singulièrement relevé par le contraste qu’elle offre avec ce qui l’entoure. A l’idée morale qu’éveille naturellement le souvenir de cette honnête femme et de la froide solitude où elle a noblement langui, M. Michelet a substitué une impression physique. Encore si cette impression tenait de l’esthétique et non de la médecine ! Marie Leczinska, dans ce volume, n’est plus la femme délaissée ni la reine humiliée, c’est simplement l’épouse malade. Le corps souffre, et dans cette triste infirmité disparaît la noble peine de l’âme, qui se nourrit courageusement de sa douleur. Des deux blessures, une seule nous est montrée, et celle-là donne au récit sa couleur, au portrait sa physionomie, au lecteur le souvenir. C’est une affliction en robe de chambre, qui va du prêtre au médecin, du lit au prie-Dieu (M. Michelet se sert d’un autre mot), poursuivant sans l’atteindre une double guérison, et tremblant devant les faciles dégoûts d’un mari qui est un maître. Remarquez ici et mesurez, je vous prie, la différence des méthodes, des styles, et jusqu’où peuvent s’éloigner et diverger en leurs écarts des fantaisies françaises. D’autres historiens, d’un goût très particulier aussi, ayant à traiter un semblable sujet, abonderont en enthousiasmes, en élans, en ferveurs pieuses et chevaleresques. Leur rhétorique fleurdelisée et