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puissantes entreprises ? Parce que l’action des infiniment petits a été plus d’une fois le levier d’Archimède qui a soulevé et bouleversé la politique, est-ce une raison pour que, sceptiques à l’endroit de tout ce qui honore l’homme, nous soyons atteints par la superstition de la bassesse ? Nous admettons les petites causes, mais nous ne voulons pas quelles nous cachent les grandes. Nous résistons à cette manie usurpatrice qui livre au génie du mal la philosophie de l’histoire. Du point central de l’observation intime, familière, domestique, inquisitoriale et médicale, à laquelle on nous convie, notre œil, éternellement fixé sur l’envers et le dessous des choses humaines, considérant pour ainsi dire la société à fond de cale, aperçoit tout au loin, par une étroite ouverture offusquée de vapeurs, la scène retentissante et l’éclat de la vie publique : là est le chœur des personnages, l’apparat des rôles, le vulgaire des spectateurs qui siffle ou applaudit. Nous voyons très bien, du lieu bas où nous nous tenons blottis, le jeu des ressorts vils ; nous les voyons même si bien que nous ne voyons plus autre chose. Le spectacle est pour nous dans la coulisse ; nous n’apercevons toujours qu’un côté du réel, le côté triste, qu’une face du vrai, la face ténébreuse. Nous rapetissant dans cette étude et cet amour du mesquin, nous nous habituons à le trouver partout. Nous avons changé d’erreur ; nous avions les illusions de la crédulité, nous sommes en proie aux chimères du soupçon. Nous nous trompons par crainte d’être dupes. Nous avons le préjugé morose au lieu de l’avoir gai ; nous évitons le mensonge de la flatterie pour tomber dans le sophisme de la satire.

L’ancienne histoire, moins superficielle qu’on ne l’a dit, l’était cependant trop. Elle imitait les orateurs et les poètes, elle glissait ayant peur d’appuyer ; elle était de bonne compagnie, elle avait respiré l’air de la cour et des salons ; elle avait le respect de l’étiquette, elle donnait un peu trop souvent l’habit de gala ou le manteau tragique à ses personnages ; il ne lui serait jamais venu à l’idée de peindre en négligé les maîtres du monde et de les faire aller à la postérité, comme on disait à Marly, en polissons. Elle nous a trompés par bienséance. Est-ce donc une raison pour tout défigurer et tout avilir ? Faut-il prendre le crayon de Callot ou la baguette de Circé ? Notre réforme doit-elle consister à mettre simplement le bas en haut, le fond au sommet, et notre miroir historique doit-il ressembler à ces glaces qui renversent l’image en la réfléchissant ? Déshabillons, je le veux bien, les importances officielles ; prêtons l’oreille au valet, de chambre des grands hommes ; pour tout savoir, il faut tout écouter ; mais gardons-nous de ces portraits où le grand homme n’apparaît qu’à travers les médisances de son valet. N’appuyons pas sur la bonne foi des garçons bleus l’histoire de France.