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suspectes le regard de sa curiosité, l’imagination de sa voluptueuse sagacité. Les faits abondent, et ceux de bestialité pure où le rayon divin est totalement éclipsé, et ceux d’une espèce composée où l’ange lutte contre la bête, où l’honneur, le talent, le devoir, tous les mobiles généreux, refoulent l’attaque et la souillure d’un monde inférieur. Entouré de ces chers témoignages et de ces découvertes précieuses, comme un botaniste parmi les fleurs, comme un chimiste au milieu de ses substances, M. Michelet constate, étudie avec verve tous ces beaux cas d’insalubrité morale, il applique aux formes multiples de la lèpre sociale un diagnostic exercé, il caresse, en les décrivant, tous ces monstres doucereux ou féroces que renferme le repaire du cœur humain. Il est suffisamment récompensé des fatigues de l’étude par les sensualités de la contemplation. De ces analyses il extrait comme une quintessence son opinion sur le règne et sur le siècle, il tire de ce creuset la pierre philosophale de la vérité qu’il cherche. Il a pour tout voir une sorte de lucidité exaltée et de divination rêveuse, il a pour tout dire un art dans l’audace où l’impossible est atteint.

Engagés avec lui dans les sinuosités du royal labyrinthe de Versailles, où le fil politique s’enchevêtre d’accessoires si singuliers en traversant les petits appartemens, désormais nous n’en sortirons plus. Nous habitons les escaliers dérobés, attentifs au bruit des serrures, et philosophant entre deux portes. Nous sommes les Montesquieu de l’entre-sol. Nous possédons à fond la topographie du mystère, la carte de l’intrigue, la stratégie du couloir, la gazette de l’antichambre, l’omniscience des valets, la diplomatie des maîtresses, la chronique des rendez-vous, la clinique des alcôves. Rien ne nous échappe de ces équivoques secrets d’état travestis en cancans, parfumés d’adultère, qui agitent d’un bourdonnement léger un silence plein d’attente, qui glissent d’un vol étouffé sur des lèvres discrètes, qui mettent en émoi les cervelles éventées des courtisans, le peuple soucieux des ombres princières. Nous avons l’oreille de tous les nouvellistes ; pour nous, l’œil subtil des Argus sollicite l’infidélité des ombres, et au besoin les portraits, les statues, les jardins, les pierres elles-mêmes parleraient pour nous instruire.

Certes nous sommes loin de méconnaître la part de vérité sérieuse que renferme cet examen microscopique des causes subalternes, cette casuistique des mobiles honteux. Les grandes affaires de ce monde, traités, alliances, expéditions, réformes, institutions, sont souvent infectées par la collaboration sordide de mille passions entremetteuses ; plus d’un ressort essentiel joue dans l’impur, manœuvré en dessous par ces moteurs invisibles. Mais jusqu’à quel point l’abject donne-t-il le branle aux vastes conceptions et aux