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— Connaissez-vous l’auteur de la lettre ?

— Je crois que je le connais ; mais à quoi cela me sert-il ? Je n’ai pu songer à mettre la justice à ses trousses ; elle n’aurait pas su le prendre, et, lors même qu’elle l’aurait pris, quel était son crime ? Quant à moi, c’était m’exposer à une vengeance certaine ; je n’aurais eu qu’à faire mon testament… Croyez-moi, nous vivons dans un pays où le plus sûr est encore de se protéger soi-même. — Mais, ajouta-t-il, j’oubliais que je vous ai préparé un spectacle ; venez, il est neuf heures, et la représentation va commencer. »

Nous montâmes sur le toit, d’où nous dominions toute la plaine ; le ciel était plein d’étoiles. Tout à coup nous vîmes briller à l’horizon une étincelle rouge, puis une lueur phosphorique et blanche qui se répandit comme une inondation de feu. La flamme, d’abord pâle et bleue, rougissait et changeait de couleur comme un immense feu de Bengale allumé sur toute la plaine. Des fumées lumineuses montaient comme une auréole, et faisaient évanouir les vagues clartés des étoiles. — C’était une prairie dont on brûlait les herbes avant d’y faire passer la charrue.

Je quitte demain la plantation. Tout à l’heure, comme je songeais à ma vie errante, je m’étais accoudé sur ma fenêtre, et je regardais la nuit. A mes pieds, dans un petit enclos, sous deux grands arbres, un troupeau de chevaux soufflait et frappait la terre. Tout à coup j’entends un sifflement étouffé, plusieurs fois répété, qui semblait l’appel d’une bouche humaine. « Sans doute, me dis-je, c’est quelque galant Daphnis africain qui appelle sa noire bergère au rendez-vous. » Mais le sifflement recommença de plus belle : c’était moi qu’il semblait appeler. J’écarquillai les yeux, je tendis l’oreille, je criai : « Qui va là ? » Le bruyant siffleur se tut, comme un malfaiteur surpris ; puis il appela timidement, il appela encore, et reprit son jeu avec une obstination bizarre. Impatienté, j’allais prendre mon pistolet et menacer le mauvais plaisant d’une punition exemplaire, quand je me rappelai certain oiseau siffleur dont on m’avait parlé la veille, et qui était, disait-on, fort effrayant pour le voyageur nocturne. Embusqué dans tous les buissons, le malin oiseau le poursuit, le harcèle et s’amuse à l’épouvanter.

Matanzas, 5 mars.

Hier matin, je reprenais assez tristement le chemin de La Union, en compagnie de mon écuyer fidèle, de mon Sancho à peau noire, toujours grotesquement harnaché. Je monte en chemin de fer et j’y trouve bruyante compagnie : mes voisins tiennent dans leurs mains ou portent dans, leurs-mouchoirs des coqs familiers qu’ils soignent et caressent tendrement ; ceux-ci gloussent, crient, battent des ailes ; on se croirait dans un poulailler. Ce sont des coqs de combat qu’on