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dans des pots de fer où il cristallise. Quant aux résidus ou mélasses, ils sont eux-mêmes recueillis avec soin, remaniés, battus par des moulins à vapeur, purifiés dans les centrifuges deux, trois jet même quatre fois, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un marc de rebut, ne contenant plus qu’une minime proportion de sucre, et composé presque entièrement de sels alcalins que l’on rend comme fumier à la terre d’où ils viennent. A chaque épuration nouvelle, on tire des mélasses un sucre de plus en plus jaune et de qualité plus grossière, car, en fait de sucres comme en fait d’esclaves, les plus blancs sont les plus estimés. — Chaque couleur vient donc à son rang sécher dans les greniers de l’usine ; on y pile en poudre fine les pains de sucre cristallisés dans les moules ; on emballe cette poudre dans de petites caisses de bois solidement ficelées de lanières de cuir, et c’est ainsi qu’on les envoie sur tous les marchés du monde. La plantation de Las Cañas en expédie à elle seule de huit à douze mille chaque année.

Mon admiration et mon étonnement croissaient à chaque pas. Je m’attendais à voir une de ces industries arriérées et barbares où la multitude des bras supplée à l’invention de l’homme, et je trouvais au contraire une merveille de l’industrie moderne. Le matériel de l’usine vaut plusieurs millions. Aucun travail ne s’y fait plus à bras ; on n’y voit que chemins de fer, chariots roulans d’un étage à l’autre, treuils mus par la vapeur qui montent et descendent sans relâche. Il y a de l’intelligence dans les moindres détails. Ainsi le feu des chaudières est entretenu avec la paille écrasée de la canne, préalablement séchée au soleil : cela épargne l’emploi, si coûteux à pareille distance, du charbon de terre venu d’Europe ou des États-Unis. L’eau même est économisée par un procédé tout à fait ingénieux ; on en emploie dans les réfrigérateurs, dans les filtres et dans les lavages une quantité si grande que le puits de la plantation n’y pourrait suffire. Qu’a-t-on imaginé pour y suppléer ? On recueille les eaux échauffées dans les réfrigérateurs et la vapeur même des chaudières, que l’on condense sans en rien perdre ; on les élève à l’aide d’une machine dans un réservoir d’où elles se répandent en petits ruisseaux innombrables sur un grand échafaudage en raquette, d’où elles tombent goutte à goutte. Refroidie par l’évaporation qui accompagne la chute, chaque goutte d’eau retourne fraîche au bassin d’où elle était puisée.

En sortant de l’usine, nous visitons le quartier nègre, situé à quelques pas de là. C’est une espèce de cloître rectangulaire, autour d’un enclos où l’herbe pousse ; des portes ouvertes dans la muraille donnent accès de chaque côté aux habitations des familles ; chacune a son réduit obscur, crépi de ciment jaune et meublé d’étagères de planches superposées comme dans un navire : c’est là que les noirs établissent leurs lits. Ces caveaux, éclairés à peine par