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parasol, grand sujet d’hilarité pour les passans. Je pars demain pour une promenade agricole à la plantation de Las Cañas, où don Juan P… a fait d’avance annoncer ma venue.

Las Cañas, 3 mars.

Réveillé ce matin au point du jour, je traverse la ville endormie, et j’arrive en courant au chemin de fer. Je vais à l’est, au centre de l’île, vers la vaste et fertile plaine où se trouvent maintenant les plus riches plantations du pays. Les coteaux des environs de Matanzas, couverts autrefois de cultures de café florissantes, sont redevenus en partie sauvages. Le caféier est une plante délicate qui s’étiole et languit dans les plaines ; il ne se plaît que sur les hauteurs, dans un sol pierreux, qu’il fatigue vite. Quand le sol d’un cafetal s’épuise, il faut aller s’établir plus loin. Les bois bourrus que nous traversons en longeant la côte étaient peut-être, il y a peu d’années, de beaux jardins rians, fleuris et parfumés.

Après une montée rapide au flanc de la colline, le chemin de fer débouche sur le plateau. Je découvre une vaste plaine ondulée, parsemée de cultures, plantée au hasard, aussi loin que la vue peut s’étendre, de palmiers tour à tour groupés ou solitaires, qui en font mesurer l’immensité. Sur la droite apparaît une montagne bleuâtre, couchée sur le large horizon qu’agrandit encore une vapeur lumineuse. Ce grand paysage monotone, sans accidens, sans limites, a une beauté noble, mais austère, que vient égayer à propos la lumière jeune et fraîche d’une matinée sans nuage. A mesure qu’on avance, le pays prend de plus en plus ce triste caractère de plaine, et quand, au bout de trois heures, le train s’arrête à la station de La Union, l’œil cherche en vain la moindre montagne à l’horizon.

La Union est un hameau de misérable apparence, situé dans une région populeuse, à la jonction de deux chemins de fer. Sans population et sans importance propre, elle est le rendez-vous général et l’unique débouché de toutes les plantations du voisinage. Malgré ce rôle de capitale. La Union a l’air, comme tous les villages du pays, d’une hôtellerie de nègres et de muletiers. Les maisons sont des espèces d’étables basses sans fenêtres, bâties en planches rudes, où bêtes et gens s’entassent dans la même poussière et la même vermine. Ces masures sordides sont peintes extérieurement de couleurs criardes, — bleu de ciel, vert de mer, rouge de brique, brun jaune, — tant le luxe de la peinturlure tient au cœur des naturels. Les plus belles sont ornées d’une espèce de galerie couverte soutenue, par des poutres grossières, où la famille s’accroupit à l’ombre à l’heure la plus chaude du jour. Quelques-unes portent suspendue à la façade la branche de verdure fanée qui indique