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voûte gothiques. Malheureusement le ridicule appareil de poutres, de planches et de lanternes qu’on y a installé gâte tout l’effet du « temple gothique. »

On circule pendant une demi-heure dans un étroit corridor tapissé de cristaux d’albâtre, les plus beaux que j’aie jamais vus, mais qui ne donnent à la caverne ni majesté ni terreur. On dirait que la nature, qui a déchiré la grotte du Mammouth à grands coups dans les entrailles de la terre, s’est amusée ici à façonner à l’écart des milliers de petits bijoux étincelans. Les aiguilles blanches et transparentes que distille la voûte sont si fines, si délicates, si capricieuses, qu’on croirait la caverne revêtue d’une dentelle de cristal. Quelques-unes de ces concrétions bizarres forment des piliers, des colonnes, des draperies, des masses fantastiques qu’on peut prendre pour des statues ébauchées. Ici la paroi de la grotte s’est lentement incrustée de couches d’albâtre blanc qui tombent en nappes arrondies d’une fissure où l’eau suinte, et forment comme une cascade d’écume pétrifiée. Plus loin, les voûtes, les murs, le sol même, étincellent comme des diamans et se renvoient sur leurs mille paillettes la lueur scintillante de notre torche fumeuse. Çà et là on rencontre des masses blanches et moelleuses qui ressemblent à des bancs de neige sans souillure. La pierre est si pure, d’un grain si fin et si parfait, que la lumière traverse les plus gros blocs comme une lame mince de verre dépoli. Frappez-les avec la main, vous en tirez un son argentin dont la vibration retentit longuement et avec des notes diverses, suivant la hauteur où vous les frappez. Il y a quelque chose de merveilleux dans ce palais de glaces et de pierres précieuses logé au sein de la terre comme l’habitation brillante de quelque sylphide ou de quelque génie captif. On s’attend presque à voir paraître une ombre blanche et fugitive au détour de l’étroit passage, ou à entendre une voix argentine murmurer tout auprès des mots inconnus ; mais la blanche fée de la caverne n’est pas de celles qui bravent l’homme et qui le terrifient. Le premier bruit de la pioche brutale ébranlant sa demeure a dû la faire fuir de ses domaines ou mourir de peur dans sa prison.

J’aime mieux, après tout, les terreurs sépulcrales de Mammoth Cave que cette coquette et éblouissante grotte des Nymphes. Veillez d’ailleurs à vos têtes et défiez-vous des mille languettes coupantes qui pendent à la voûte. Vous n’êtes pas un esprit pour vous glisser sans encombre à travers ces capricieuses aspérités. J’ai pour compagnon un vieil Américain obèse qui souffle, sue, gémit, et demande à respirer l’air des humains. Ce voisinage enlève beaucoup à l’illusion et à la poésie de l’aventure. Nous rebroussons chemin, à sa grande joie ; un temps de galop me ramène à la ville, sous un soleil de plomb, tenant d’une main les rênes de mon cheval, et de l’autre un