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au bruit monotone des pieds traînant sur le sable. Rien de plus ennuyeux que cette promenade quotidienne, pendant laquelle on a parfois grand’peine à se tenir éveillée, bien que la moindre somnolence vous expose aux plus vives semonces, et même à une suspension provisoire. Un jour de cet été, emportée par mes rêves dans ce joli jardin du prieuré où tant de fois nous avons échangé nos impressions d’enfance et nos plans d’avenir, je sentais mes yeux se fermer et se perdre toute notion du monde réel, quand une main charitable, imprimant une légère secousse à mon mantelet, me tira de cette engourdissement périlleux. C’était une prisonnière qui me mettait ainsi sur mes gardes, sans trop s’inquiéter de la malveillance ironique avec laquelle les autres me regardaient en défilant devant moi. Ce n’était pas grand’chose, me direz-vous, et certainement dans le monde où nous avons vécu rien de plus simple ; mais ici tout change de proportions, et la plus légère marque de sympathie de prisonnière à gardienne est une sorte de phénomène. Pour ce qui me regarde, je fus touchée, presque jusqu’aux larmes, de cet obligeant procédé ; mais je me gardai d’en faire semblant. La moindre marque de reconnaissance eût éveillé de terribles jalousies et provoqué de terribles rancunes.

Après la promenade, le travail reprend de plus belle jusqu’à cinq heures et demie, heure où l’on emplit de gruau les pintes laissées dans chaque cellule. Les matrones profitent de ce moment pour prendre le thé dans leurs mess-rooms. Quelques prières sont lues ensuite à voix haute par une de nous, debout au centre de chaque ward, de telle sorte que les prisonnières, également debout derrière le grillage de leur première porte, puissent avec un peu d’attention n’en pas perdre un mot. L’appel se fait ensuite, et le travail se poursuit jusqu’à huit heures un quart, où s’opère la remise des ciseaux distribués le matin. La lecture (facultative), les menus rangemens, etc., remplissent le quart d’heure suivant. Les prisonnières préparent leur lit vers huit heures et demie. A neuf heures moins un quart, les matrones passent le long des couloirs, fermant du dehors le robinet de gaz qui éclairait chaque cellule, et, les prisonnières une fois couchées, nous sommes censées avoir terminé notre besogne quotidienne, à l’exception de celle d’entre nous qui, prenant sa veillée au coup de neuf heures et faisant ses rondes tout à loisir, doit passer au moins une fois par heure devant la porte de chaque cellule, toujours prête à rendre compte du moindre accident, de la moindre indisposition, de la moindre tentative de révolte.

Je n’en dirai pas plus long aujourd’hui. Vous resterez sous cette impression, et j’aime à me figurer que vous prendrez quelque pitié