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une cabane d’écorces, de palmes et de branchages, et ses habitans noirs sur le seuil ; — un vallon frais et agreste, avec son ruisseau paresseux et ses palmiers aux pieds baignés dans l’eau courante. Partout ces beaux palmiers, soit isolés dans les champs, soit groupés en bouquets transparens, soit dominant de leur haute stature les taillis plus humbles, donnent à l’horizon cette gracieuse et solennelle mélancolie des plaines semées de ruines, où la capricieuse destruction des-siècles a laissé debout çà et là une colonne ou un temple.

Rien n’est triste pourtant dans ces campagnes ; elles ont un air peuplé qui m’étonne. La main de l’homme a passé partout ; ces palmiers qui dessinent leurs têtes fines sur le ciel ont tous été plantés, et quand nous traversons les grandes futaies, la régularité des lignes nous montre que rien n’y est sauvage, pas même le cactus sanglant et épineux qui noue ses bras venimeux comme une sorte de monstre marin. La faucille l’émonde, le plie, et le force à former des murailles le long des chemins. Le pays devient pourtant plus sauvage à mesure que nous avançons vers l’intérieur. Voilà la Jungle tropicale, la forêt vierge encore, que jamais charrue n’a labourée. Les palmes s’entrelacent de lianes ; les orchidées s’attachent aux troncs des gros arbres ; c’est le seul feuillage qui décore en cette saison les branches nues du ceiba. Celui-ci, fortement appuyé sur sa souche conique, épanoui à sa racine en larges contreforts semblables à ceux qui soutiennent les piles d’un pont ou les bastions d’une ville, semble défier tous les ouragans. La nature, qui l’a élevé au-dessus du menu peuple des forêts, l’a en même temps muni contre les dangers de la grandeur. Son vaste dôme, arrondi sur des bras noueux et tordus, ne plie pas sous l’orage, sa base est assez forte pour lui résister. Sa tête haute appelle la foudre, mais la nature a mis sur ses branches une plante parasite dont les aiguilles pointues et délicates écartent l’élément destructeur, — Franklin n’est pas le premier inventeur du paratonnerre, puisque les arbres des forêts le connaissaient avant lui. — Aux pieds du géant se presse la foule des petits arbres, qui, bien loin de faire place, autour du haut personnage et de lui laisser étaler sa grandeur dans une solitude jalouse, semblent se disputer son abri et sa protection.

Le ciel, qui s’était assombri, s’éclaircit soudainement ; les nuages s’amassent ainsi tous les jours à l’heure de la chaleur pour se dissiper chaque soir aux rayons du soleil couchant. Une chaîne de montagnes se dressé à la droite, couverte de forêts touffues comme une toison molle et bouclée. On dirait les formes légères, les couleurs tendres et aériennes d’un jardin de fées ; le dessin coquet et