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Ouvrons maintenant la fenêtre grillée, et jetons, malgré le soleil, un coup d’œil sur le paysage. C’est une vaste plaine ondulée, un peu monotone, mais partout riante et spacieuse, avec de grands bouquets de palmiers, des quinconces de bananiers en fruits, de larges cultures de cannes, des haies de cactus, d’aloès et de lianes, des labours de terre rouge brillant au soleil. On me dit que l’île de Cuba tout entière n’est qu’un immense banc de corail, ce qui veut dire qu’elle est formée d’un calcaire récent et plein de fossiles maritimes. On voit à la surface des veines de terrain gris et noir ; mais l’aspect général du sol des grands plateaux intérieurs est celui d’une brique rouge et grenue.

Le pays est donc uniforme et serait triste sous un autre ciel. Les détails du paysage suffisent pour nous charmer : tantôt c’est un ceiba gigantesque, dont le dôme en parasol et les branches tordues dominent une colline boisée ; tantôt c’est un bocage d’arbres fruitiers, sorte de verger sauvage qui avoisine une ferme ou la hutte d’un pâtre nègre. Toutes ces tiges droites, courbées, hautes ou penchées et presque rampantes, les unes avec leurs touffes métalliques, les autres avec leurs chevelures longues et traînantes et leurs grappes de fruits pesans, se mêlent, s’entrelacent, s’enroulent de lianes et de broussailles, et forment par endroits de charmans fouillis. Ce ne sont pas les épais ombrages de nos grandes forêts septentrionales, ni les impénétrables profondeurs de la végétation des pays humides. Le bocage à claire-voie s’ouvre partout à l’air et au jour ; le berceau serré des grandes palmes vertes laisse percer maint rayon de soleil, et çà et là, au plus épais du taillis, un petit coin de ciel bleu vient réjouir l’œil du passant. Il y a tel de ces vergers clos de haies, attenant parfois à des bois plus sauvages et parsemé de rayons de soleil égarés capricieusement sur les grandes herbes, qui semble détaché d’un cadre de Diaz, moins les Orientales magnifiquement enrubannées qu’il y promène, et qui sont ici remplacées par de modestes négresses en chemises de toile.

Cette végétation brille moins encore par la force désordonnée et la grandeur écrasante qu’on lui suppose que par la noblesse et la beauté des formes. Elle conserve une admirable symétrie au milieu même de ses plus étourdissans caprices. Point de ces broussailles grossières et bourrues, de ces arbres gauches et massifs qu’on voit dans nos climats. Nos forêts semblent pousser au hasard et n’avoir d’autre loi que la difformité. Ici palmiers, faux cèdres (ce que du moins on appelle cèdre à Cuba, et qui, je crois, n’est même pas un conifère), cocotiers, bananiers, orangers et citronniers de mille espèces, et jusqu’aux gros arbres noueux qui tordent leurs, bras comme nos chênes, ont d’abord une tige svelte et élancée au-dessus de