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et de pénétrer ainsi jusqu’à Mme  Désenclos. Il se hâta de descendre et de les rejoindre.

Un épais brouillard enveloppait la vallée ; il put suivre le groupe des chanteurs sans être reconnu. Ils montèrent aux Palatries ; mais, dès qu’ils eurent atteint l’avenue des noyers, leurs chants cessèrent, car ils savaient que le deuil était dans la maison. M. Désenclos ne quittant pas le lit de sa fille, Lucile était venue elle-même recevoir les veilleurs sur la terrasse. Maurice, caché derrière un platane, la vit distribuer son offrande, il l’entendit répondre avec un accent doux et triste à leurs questions sur la santé de l’enfant. Les garçons s’éloignèrent peu à peu ; alors il s’approcha d’elle et l’appela d’une voix suppliante. Elle frissonna tout entière au son de cette voix bien connue et s’arrêta. — Lucile, murmura Maurice, pardonnez-moi, dites-moi que vous ne me haïssez pas, parlez-moi !…

Elle se sentit remuée de pitié, mais elle songea en même temps à l’enfant malade et à la petite chambre où le père veillait ; elle ne le laissa pas continuer. — Partez, dit-elle rapidement, oubliez le passé et ne me revoyez jamais…

— Lucile ! s’écria-t-il encore, et il lui tendit la main. Elle la repoussa doucement.

— Adieu ! adieu ! balbutia-t-elle, et elle s’enfuit.

Il la vit disparaître et redescendit lentement les allées du jardin. La vallée était ensevelie dans la brume, et le ciel était sombre. Au loin, les cloches de Savigné et de Saint-Clémentin commençaient à sonner lentement le glas de la fête des morts, et par momens on entendait encore les chants des jeunes gars qui continuaient leur quête de borderie en borderie

Maurice quitta les Ages le surlendemain. Le même jour, la maladie de Madeleine parut entrer dans une phase nouvelle ; la fièvre diminua et finit par disparaître. Un matin, le docteur déclara que le danger avait cessé. Lucile poussa un cri de joie et serra avec effusion les mains du médecin ; quand elle l’eut reconduit jusqu’au seuil du jardin, elle remonta tout émue et s’arrêta sur le palier ; ses yeux étaient pleins de larmes, et elle voulait les essuyer avant de rentrer. Elle entendit M. Désenclos qui parlait à Madeleine avec un accent attendri et joyeux ; l’enfant lui tendait ses mains amaigries et lui répondait d’une voix faible. — Elle me reconnaît ! Elle est sauvée !… cria le père en apercevant sa femme.

Lucile se sentit emportée par son émotion : sa nature expansive et impétueuse avait repris le dessus ; elle courut à M. Désenclos, s’agenouilla devant lui, et lui saisissant les mains : — Pardon !… oh ! pardonnez-moi ! s’écria-t-elle.

Son mari la regarda avec un naïf étonnement et la releva. —