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vouliez dire deux mots à Mme  Désenclos… Elle fait ce qu’elle veut de son mari, et le maître des Palatries volerait la lune, si elle la lui demandait. — Maurice se leva d’un air impatienté et dit brusquement qu’il n’allait jamais aux Palatries et ne voulait pas se mêler de cette affaire.

— Faites excuse, monsieur Maurice, reprit la meunière de sa voix la plus mielleuse, je ne savais point ; je croyais que vous étiez toujours ami avec la dame des Palatries ; je pensais que…

— Que pensiez-vous ? s’écria-t-il avec colère et en lui saisissant le bras.

— Ah ! bonnes gens, notre maître, ne vous fâchez point !… Je pensais, comme tout le monde, que vous voyiez la jeune dame tout autant que par le passé… alors que vous vous promeniez ensemble le long de la rivière, bien loin, jusqu’aux roches de Chaffaux… Et je me disais : Ils étaient si amis autrefois que, pour sûr, ça n’a point pu se passer si vite… Ces amitiés-là, le temps ne mord point dessus !… Et alors je pensais qu’en vous promenant avec elle, un jour… vous pourriez lui recommander mon Sylvain et qu’elle n’aurait rien à vous refuser.

Maurice l’écoutait avec stupeur. — Assez !… s’écria-t-il. Elle sortit et laissa le jeune homme atterré. — Elle sait tout, se dit-il ; elle nous a vus, et nous tient à sa discrétion. Si je lui refuse mon aide, elle tuera la réputation de Lucile à coups de langue. — Il fallait renoncer à partir et voir Mme  Désenclos au plus vite… Mais où et comment ?… La Commanderie était le seul endroit où il eût quelque chance de la rencontrer. Il y alla dès le lendemain.

En le voyant entrer, Mme  de Labrousse poussa une exclamation joyeuse. — Eh quoi ! c’est vous, dit-elle, je vous croyais en train de devenir trappiste ! — Maurice s’excusa de son mieux en songeant qu’il serait peut-être obligé de revenir plusieurs fois à la Commanderie, et fit tous ses efforts pour gagner les bonnes grâces de la veuve. Mme  de Labrousse fut charmée de ce retour, sur lequel elle ne comptait plus, et se mit en frais de coquetterie. À six heures, Lucile n’avait point paru ; Maurice prit congé en promettant de fréquentes visites. Il revint en effet deux jours après, et Césarine, ravie de cet empressement, l’invita à dîner pour le lendemain.

Lorsqu’il arriva, il trouva Lucile au salon. Elle était très pâle et paraissait fatiguée ; ses regards, plus animés et plus brillans encore que de coutume, contrastaient avec cette pâleur et trahissaient une intérieure et violente agitation. Elle souffrait en effet d’un mal ignoré jusque-là, — la jalousie. Ne sachant rien des luttes et des anxiétés de Maurice, ne comprenant ni son silence, ni sa persistance à fuir les Palatries, elle avait supposé qu’un intérêt plus vif