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s’écria-t-elle, les beaux chèvrefeuilles, là-bas, de l’autre côte de l’eau ! Venez, nous allons cueillir un bouquet !

Elle s’élança légèrement vers la rivière et la traversa en suivant la digue. Elle sautillait sur les pierres comme une bergeronnette. En un endroit où le courant élargi séparait deux assises de moellons, elle s’arrêta hésitante. Maurice accourut et voulut la porter dans ses bras. — Non ! dit-elle en rougissant, pas de cette façon ; donnez-moi la main. — D’un bond ils sautèrent ensemble sur la dernière assise. Ils avaient atteint l’autre rive, et Maurice tenait toujours les doigts de Lucile dans sa main brûlante. Elle les dégagea rapidement et se mit à cueillir des fleurs : les chèvrefeuilles, les viornes, les digitales, tout y passa. Elle s’était débarrassée de son chapeau, ses cheveux flottaient en liberté ; ses yeux brillaient… Quand elle eut complété sa gerbe, elle s’abattit tout à coup sur l’herbe comme un bel oiseau, et, tout en jasant, procéda à l’arrangement de son bouquet. Maurice, silencieux le plus souvent, la regardait, l’admirait et buvait avidement ses moindres paroles. Il aspirait avec délices la suave odeur de violette qui s’exhalait des vêtemens de Lucile. Par momens un frisson le prenait, et il était tenté de couvrir ses pieds de baisers.

Le soleil cependant s’abaissait de plus en plus vers les bois. Lucile se leva. — Quel dommage de partir, soupira Maurice, il faisait si bon ici !

— Oh ! dit-elle tout heureuse de pouvoir exaucer le désir à demi étouffé sous ce regret, je ne suis obligée de rentrer qu’à la nuit, et si vous voulez, nous nous en reviendrons tout doucement par les bois et la brande.

Ils s’engagèrent dans un sentier sablonneux ombragé par les ramures des châtaigniers, et en cheminant ils continuèrent à parler de leur première jeunesse. À mesure qu’ils marchaient, leur causerie devenait plus familière et plus tendre. Pas un mot d’amour n’était prononcé, mais l’amour lui-même était dans leurs sourires et dans leurs inflexions de voix.

Le crépuscule commençait lorsqu’ils débouchèrent dans la brande. De longs nuages gris masquaient le ciel, un fin brouillard montait de la vallée et planait sur le taillis. Au couchant, une dernière rougeur perçait la brume et jetait sur les bruyères une lueur fantastique dans laquelle les objets semblaient flotter confusément comme des apparitions d’autrefois. Au loin, dans la campagne, un pâtre chantait d’une voix lente et sonore ce vieux refrain :

Rossignol sauvage,
Rossignolet des bois,
Apprends-moi ton ramage,